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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 09:33
Louise MICHEL
Louise MICHEL
Louise MICHEL , née le 29 mai 1830 à Vroncourt-la-Côte (Haute-Marne) et morte le 9 janvier 1905 à Marseille, alias "Enjolras", est une militante anarchiste et l'une des figures majeures de la Commune de Paris. Première à arborer le drapeau noir, elle popularise celui-ci au sein du mouvement anarchiste.

Préoccupée très tôt par l'éducation, elle enseigne quelques années avant de se rendre à Paris en 1856.
Là, à 26 ans, elle développe une activité littéraire, pédagogique, politique et activiste importante et se lie avec plusieurs personnalités révolutionnaires blanquistes du Paris des années 1860. En 1871, elle participe activement aux évènements de la Commune de Paris, autant en première ligne qu'en soutien.
Capturée en mai, elle est déportée en Nouvelle-Calédonie où elle s'éveille à la pensée anarchiste. Elle revient en France en 1880, et, très populaire, elle multiplie les manifestations et réunions en faveur des prolétaires. Elle reste surveillée par la police et est emprisonnée à plusieurs reprises, mais poursuit inlassablement un activisme politique important dans toute la France jusqu'à sa mort à l'âge de 74 ans.

Elle représente une figure importante de la Commune de Paris et de l'enseignement révolutionnaire des années 1860, et constitue encore aujourd'hui une personnalité influente dans la pensée révolutionnaire et anarchiste.


JEUNESSE

Louise MICHEL est née le 29 mai 1830 en Haute-Marne au château de Vroncourt, fille du châtelain Etienne-Charles Demahis (plus vraisemblablement de son fils Laurent Demahis) [Jean Maîtron, Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français , Les Editions de l'Atelier, 1997, article "Louise Michel" -disponible sur biosoc.univ-paris.1.fr/actu/livres/gauthier2.htm ] et de sa servante, Marie, Anne [Ce sont les prénoms maternelles qui figurent dans l'acte de naissance de Louise] Michel. Elle grandit dans la famille des parents d'Etienne-Charles Demahis, qu'elle appelle ses grands-parents et où elle semble avoir été heureuse, faisant preuve, très jeune, d'un tempérament altruiste. Elle reçoit une bonne instruction et une éducation libérale, lisant Voltaire et Rousseau. ["Louise Michel" ( http://www.toupie.org/Biographies/Michel.htm), sur le site toupie.org ]

A partir de 1851, elle poursuit des études à Chaumont ["Chronologie de la vie de Louise Michel" sur ac-creteil.fr ( http://www.ac-creteil.fr/lycées/93/lmichelbobigny/louise/chrono/chrono.htm )] où elle échoue le 1er septembre au brevet de capacité permettant d'exercer la profession de "sous-maîtresse" (on dirait institutrice aujourd'hui).
Brevet de capacité qu'elle obtient finalement le 25 mars 1852 à Versailles. En septembre 1852, à 22 ans, elle crée une école libre à Audeloncourt où elle enseigne durant une année avant de se rendre à Paris.

Fin 1854, elle ouvre une école à Clefmont et n'y enseigne encore une fois qu'une année.


A PARIS

En 1856, elle vient s'installer à Paris où elle enseigne dans le quartier du Château-d'Eau, dans la pension de Madame Voillier avec laquelle elle entretient des rapports quasi filiaux. Commence alors pour elle une période d'activité intense. Pendant les 15 ans qui suivent, elle poursuit régulièrement son activité d'enseignante. En 1865, elle ouvre une école (un externat) au 24 rue Houdon puis un autre cours rue Oudot en 1868. Elle se montre favorable à des idées très nouvelles comme des écoles professionnelles et des orphelinats laïcs.

Intéressée par la littérature, elle publie plusieurs textes, et notamment des poèmes qu'elle signe sous le pseudonyme d'Enjolras. ["Louise-Michel" ( http://www.terresdecrivains.com/ ), sur le site terresdecrivains.com ] Elle aurait probablement aimé vivre de sa plume, si les temps le lui avaient permis. Dès le mois d'août 1851, elle aurait rencontré Victor Hugo [Yves Murie, Victorine, le grand secret de Louise Michel , SAEP, 2000 (ISBN 2951478003) -article de La République des Lettres ( http://www.republique-des-lettres.fr/1000-louise-michel.php )], un des personnages les plus célèbres et les plus respectés de l'époque. Elle entretient avec lui une correspondance de 1850 à 1879, et lui adresse quelques poèmes. Louise est entièrement sous le charme. [Interview de Xavière Gauthier sur biosoc.univ-paris1.fr ( http://biosoc.univ-paris1.fr/actu/livres/gauthier1.htm )] On prétend même qu'il lui aurait donné une enfant, Victorine, placée en nourrice à sa naissance ; cette hypothèse reste cependant très discutée. Victor Hugo la dépeint telle "Judith la sombre Juive" et "Aria la Romaine" dans son poème Viro Major , femmes aux destins exceptionnels et tragiques.

Elle s'introduit dans les milieux révolutionnaires et rencontre à cette époque Jules Vallès, Eugène VARLIN, Raoul Rigault et Emile Eudes, collabore à des journaux d'opposition comme Le Cri du peuple. [Académie de Grenoble, Mémoires - Louise Michel , -lire en ligne ( http://www.ac-grenoble.fr/lycee/louise.michel/spip.php?article11 )-, consulté le 9 mai 2009] En 1862, elle devient secrétaire de l'Union des poètes ; en 1869, elle est secrétaire de la Société démocratique de moralisation, ayant pour but d'aider les ouvrières. A cette époque, Louise est blanquiste, c'est-à-dire adepte du mouvement révolutionnaire et républicain socialiste fondé par Auguste Blanqui.

En août 1870, à 40 ans, en pleine guerre franco-prussienne, elle manifeste contre l'arrestation des blanquistes Eudes et Brideau. En septembre, après la chute de l'Empire, elle participe au Comité de vigilance des citoyennes du XVIIIe arrondissement de Paris dont elle élue présidente ; elle y rencontre Théophile FERRE, dont elle tombe passionnément amoureuse. Dans Paris affamé, elle crée une cantine pour ses élèves. Elle rencontre Georges Clemenceau, maire de Montmartre. On assiste alors à d'étonnantes manifestations: femmes, enfants, gardes fédérés entourent les soldats qui fraternisent avec cette foule joyeuse et pacifique. Louise MICHEL fait alors partie de l'aile révolutionnaire la plus radicale aux côtés des anarchistes, et pense qu'il faut poursuivre l'offensive sur Versailles pour dissoudre le gouvernement d'Adolphe Thiers qui n'a alors que peu de troupes. Elle est même volontaire pour se rendre seule à Versailles et tuer Thiers. [Fernand Planche, La vie ardente et intrépide de Louise Michel , Editions Tops-H. TRINQUIER, 2005] Elle n'est pas suivie et le projet avorte.


LA COMMUNE

Louise a 40 ans quand éclate la Commune de Paris ; elle y est très active. Selon une anecdote fameuse, le 22 janvier 1871, en habit de garde nationale, elle fait feu sur l'Hôtel-de-Ville.
Propagandiste, garde au 61e bataillon de Montmartre, ambulancière, et combattante, elle anime aussi le Club de la Révolution à l'église Saint-Bernard de la Chapelle. Les 17 et 18 mars, elle participe activement à l'affaire des canons de la garde nationale sur la butte Montmartre.

En avril-mai, lors des assauts versaillais contre la Commune, elle participe aux batailles de Clamart, Issy-les-Moulineaux, Neuilly. Sur la barricade de Clignancourt, en mai, elle participe au combat de rue dans lequel elle tire ses derniers coups de feu ; elle se rend pour faire libérer sa mère, arrêtée à sa place.
Elle assiste alors aux exécutions et voit mourir ses amis, parmi lesquels son ami Théophile FERRE (exécuté avec l'ancien ministre de la Guerre de la Commune, Louis Rossel), auquel elle fait parvenir un poème d'adieu: Les Oeillets rouges. Elle réclame la mort au tribunal, et c'est sans doute en l'apprenant que Victor Hugo lui dédie son poème Viro Major. Entre 1871 et 1873, elle passe 20 mois en détention à l'abbaye d'Auberive (transformée en prison) et se voit condamnée à la déportation. C'est le temps où la presse versaillaise la nomme la Louve avide de sang ou la Bonne Louise. [Louise MICHEL, Xavière Gauthier, Histoire de ma vie - 2e et 3e parties , Presses Universitaires de Lyon, coll. "Hors Collection", 2000, 177 p. (ISBN 2729706488 et ISBN 978-2729706487)]


LA DEPORTATION

Embarquée sur le Virginie en août 1873 pour être déportée en Nouvelle-Calédonie, elle chante avec d'autres communards Le Temps des cerises en regardant s'éloigner la côte, elle arrive sur l'île après 4 mois de voyage. A bord, elle fait la connaissance de Henri Rochefort, célèbre polémiste, et de Nathalie LEMEL, elle aussi grande animatrice de la Commune ; c'est sans doute au contact de cette dernière que Louise devient anarchiste. Elle reste 7 années en Nouvelle-Calédonie, refusant de bénéficier d'un autre régime que celui des hommes. Elle crée le journal Petites Affiches de la Nouvelle-Calédonie et édite Légendes et chansons de gestes canaques. ["Collection des Oeuvres de Louise MICHEL, fondée par Xavière Gauthier, dirigée par Véronique Fau-Vincenti et Claude Rétat" ( http://lire.ish-lyon.cnrs.fr/spip.php?article131 ), sur le site ish-lyon.cnrs.fr ] Elle cherche à instruire les autochtones kanaks et, contrairement à certains Communards qui s'associent à leur répression, elle prend leur défense lors de leur révolte, en 1878. Elle obtient l'année suivante l'autorisation de s'installer à Nouméa et de reprendre son métier d'enseignante, d'abord auprès des enfants de déportés, puis dans les écoles de filles.

Le Tigre Clemenceau, qui lui vouait une grande admiration, continuait de lui écrire durant sa déportation et lui adressait des mandats.


RETOUR EN FRANCE

De retour à Paris le 9 novembre 1880, elle est chaleureusement accueillie par la foule. Elle y reprend son activité d'infatigable militante, donnant de nombreuses conférences, intervenant dans les réunions politiques. 2 mois après son retour, elle commence à faire publier son ouvrage La Misère sous forme de roman feuilleton, qui remporte un vif succès.

Elle ne prend que médiocrement part à l'agitation provoquée par l'affaire Dreyfus (s'agissant pour elle de protéger le "frère" Henri Rochefort, ici attaqué), mais se réclame jusqu'à sa mort du mouvement anarchiste. C'est le 18 mars 1882, lors d'un meeting salle Favié à Paris, que Louise MICHEL, désirant se dissocier des socialistes autoritaires et parlementaires, se prononce sans ambigüité pour l'adoption du drapeau noir par les anarchistes (socialistes libertaires), "Plus de drapeau rouge mouillé du sang de nos soldats. J'arborerai le drapeau noir, portant le deuil de nos morts et de nos illusions". [Louise MICHEL, Meeting salle Favié, 18 mars 1882]

Ce nouvel engagement est bientôt concrétisé par l'action: le 9 mars 1883, elle mène aux Invalides, avec Emile POUGET, une manifestation au nom des "sans-travail" qui dégénère rapidement en pillages de 3 boulangeries et en affrontement avec les forces de l'ordre. Louise, qui se rend aux autorités quelques semaines plus tard, est condamnée en juin à 6 ans de prison assortis de 10 années de surveillance de haute-police, pour "excitation au pillage". [Dominique Leborgne, Saint-Germain des Prés et son faubourg , Parigramme, Paris, 2005, p. 200] En janvier 1886, le président de la République, Jules Grévy, la gracie. ["Je vous remercie. Il paraît que vous avez senti que je ne pouvais sans infamie accepter une grâce à laquelle je n'ai pas plus de droits que les autres. Tout ou rien. Je ne veux pas qu'on me paye le cadavre de ma mère {...} Qu'on me laisse tranquille", Correspondance du 4 mai 1885 à Lissagaray, in René Bidouze, Lissagaray, la plume et l'épée ] Pourtant dès août, elle est de nouveau emprisonnée pour 4 mois à cause d'un discours prononcé en faveur des mineurs de Decazeville, aux côtés de Jules Guesde, Paul Lafargue et Susini. Refusant de faire appel, elle est finalement relâchée en novembre suite à une remise de peine.

En janvier 1887, elle se prononce contre la peine de mort, en réaction à la peine capitale à laquelle vient d'être condamné son ami Duval. Le 22 janvier 1888, après avoir prononcé dans l'après-midi un discours au théâtre de la Gaîté du Havre, elle est attaquée dans la soirée à la salle de l'Elysée par le "chouan" Pierre Lucas qui lui tire 2 coups de pistolet ; blessée à la tête, elle refuse de porter plainte contre son agresseur.

En avril 1890, Louise MICHEL est arrêtée à la suite d'un discours qu'elle a prononcé à Saint-Etienne et de sa participation à un meeting qui entraîna de violentes manifestations à Vienne. Un mois plus tard, elle refuse sa mise en liberté provisoire, car ses co-inculpés restent en prison. Elle finit par tout casser dans sa cellule, un médecin demande alors son internement comme "folle". Le gouvernement, qui craint des histoires, s'y oppose. Elle a alors 60 ans. Finalement, elle est libérée et quitte Vienne pour Paris le 4 juin. En juillet, Louise se réfugie à Londres où elle gère une école libertaire pendant quelques années. A son retour le 13 novembre 1895, elle est accueillie par une manifestation de sympathie à la gare Saint-Lazare.

Pendant les dix dernières années de sa vie, Louise MICHEL, devenue une grande figure révolutionnaire et anarchiste, multiplie les conférences à Paris et en province, accompagnées d'actions militantes et ce malgré sa fatigue ; en alternance, elle effectue des séjours à Londres en compagnie d'amis. En 1895, elle fonde le journal Le Libertaire en compagnie de Sébastien FAURE. Le 27 juillet 1896, elle assiste à Londres au congrès international socialiste des travailleurs et des chambres syndicales ouvrières. Très surveillée par la police, elles est plusieurs fois arrêtée et emprisonnée, et condamnée à 6 ans d'incarcération et libérée au bout de 3 sur intervention de Clemenceau, pour revoir sa mère sur le point de mourir.

Quelques mois avant sa mort, d'octobre à décembre 1904, Louise MICHEL alors âgée de 74 ans, se rend en Algérie avec Ernest Girault pour une tournée de conférences.

Elle meurt en janvier 1905 à Marseille d'une pneumonie lors d'une tournée de conférences ; le matin du 21 janvier, ses funérailles drainent à Paris une foule de plusieurs milliers de personnes. De nombreux orateurs prirent la parole et, parmi eux, le Vénérable de la Loge de la Fraternité Universelle. Insignes et emblèmes maçonniques fleurirent sur sa tombe, de sorte que l'anarchiste Sébastien FAURE fit observer qu'elle n'avait jamais appartenu à aucune association, pas même anarchiste, puisque ce mouvement n'était pas encore structuré en fédération. Un témoin oculaire, André LORULOT, affirme cependant qu'elle avait donné son adhésion à l'Ordre maçonnique mixte international "le Droit Humain" fondé en 1893. [L'Idée libre , avril 1959] Sur la proposition de Madeleine Pelletier, elle y fut invitée, un an avant sa mort, y prononça un discours de réception, n'y fut pas "initiée" mais en quelque sorte cooptée le 20 juillet 1904, les membres de ladite loge s'estimant honorés par son acquiescement à leur requête et retenant que son action la dispensait du rite d'initiation. Quand on lui demanda pourquoi elle ne s'y était jamais présentée, elle répondit: "Il y a longtemps que j'aurais été des vôtres si j'eusse connu l'existence de loges mixtes, mais je croyais que, pour entrer dans un milieu maçonnique, il fallait être un homme." [Site de la Grande Loge Féminine de France ( http://www.glff.org/internet/fr/celebresphist.htm )]




INFLUENCE

Mémoire

Jusqu'en 1916, une manifestation a lieu chaque année sur sa tombe, située à Levallois-Perret. En 1946, ses restes sont déplacées au rond-point des Victimes du devoir, dans le même cimetière. Sa tombe est encore fleurie de nos jours à chaque anniversaire.

Son nom se retrouve très souvent au fronton des écoles maternelles et primaires, lycées et collèges des communes de France. Le 24 septembre 1937, une station de métro parisien située à Levallois-Perret lui est dédiée. Le 28 février 2004, la qualité d'illustre montmartroise de Louise MICHEL a fait que son nom a été donné au grand square Willette, situé au pied du Sacré-Coeur et débaptisé suite à une délibération du Conseil de Paris qui souhaitait sanctionner l'engagement antisémite du dessinateur.

Il existe un prix français Louise Michel décerné par le Centre d'études politiques et de sociétés de Paris et récompensant une personnalité pour "les vertus de dialogue, de démocratie, de développement et de paix". [Bouteflika, prix Louise-Michel sur humanite.fr ( http://www.humanite.fr/2005-10-01_International_Bouteflika-prix-Louise-Michel )] Son attribution récente à des dirigeants tels que Ben Ali ou Hosni Moubarak a suscité plusieurs critiques.

En 2005, fut célébré le centième anniversaire de la mort de Louise MICHEL. A cette occasion deux colloques rendirent hommage à la "bonne Louise", notamment l'important colloque de mars organisé par la Mairie de Paris et l'association culturelle Actazé "Louise Michel, figure de la transversalité" (sous la direction de Valérie Morignat). [Les informations complètes sur ce colloque intitulé "Louise Michel, Figure de la transversalité" sont sur les pages d'Actazé qui publia début 2007 l'intégralité des conférences Louise Michel, Figure de la transversalité ( http://www.valeriemorignat.net/louise_michel ) ] Cet évènement a rassemblé 22 spécialistes de Louise MICHEL qui soulignèrent une personnalité inclassable, brillante et toujours contemporaine. Une pièce de théâtre mise en scène par Pierre Humbert est réalisée pour cette occasion. [(pdf) Présentation: "Louise Michel - "La vierge rouge" ( http://biosoc.univ-paris1.fr/pdf/LOUISE%20MICHEL%20dossier.pdf), sur le site biosoc.univ-paris1.fr ]

Héritage social

Louise MICHEL reste encore aujourd'hui une figure emblématique du mouvement anarchiste et du mouvement ouvrier en général. C'est parfois un vocabulaire relevant de celui réservé aux saintes et aux hérétiques qui lui est appliqué: quand elle n'est pas la "Bonne Louise", elles est la "Vierge rouge". Cette femme, instruite et cultivée, est entourée de nombreuses figures masculines connues, dont elle a l'amitié, jusqu'à la fin de sa vie, ou plus souvent de la leur.

Son influence est encore présente dans les départements d'Etudes féminines américaines, ou encore par son roman
La Misère qui annonce la crise sociale des banlieues.

C'est, avec George Sand, une des très rares femmes du XIXe siècle à avoir adopté le costume masculin à un moment de sa vie, fait révélateur d'une revendication féministe.

Si son oeuvre littéraire comporte peu d'écrits théoriques mais de nombreux poèmes, légendes et contes, y compris pour les enfants auxquels elle ne cessa jamais de s'intéresser, elle est davantage passée à la postérité pour son activisme pour la "révolution sociale", comme elle-même le disait. [Louis Andrieux, Souvenirs d'un préfet de police ( http://gallica.bnf.fr/document?0=N065129 ), J. Rouff, Paris, 1885]

Jean-Luc Mélenchon, dans son discours fondateur du Parti de gauche du 29 novembre 2008, se réclame de Louise MICHEL: "Nous plaçons le Parti de Gauche sous l'auspice tutélaire des deux visages qui dorénavant nous accompagneront: Jean Jaurès et Louise MICHEL". ["Discours au meeting de lancement du Parti de Gauche" ( http://www.jean-luc-melanchon.fr/p?=649 ), sur le site jean-luc-melanchon.fr ]
C'est d'ailleurs très à la mode en ce moment de vouloir la récupérer: Ségol'haine Royal, voire Sarkopen, ont tenté aussi de le faire !
Pourtant, Louise MICHEL les a et nous a "enseigné" depuis longtemps que: "Le pouvoir est maudit ! C'est pour cela que je suis anarchiste !".

La promotion 1984 de l'ENA porte son nom (voir: "Liste d'énarques par promotion - Promotion Louise MICHEL (1984)"). Ca craint !!!!


Dans la culture populaire

* Le groupe de rock français Louise Attaque tire son nom du personnage.
* En 2005, Clément Riot rend hommage à Louise MICHEL dans son épopée acousmatique Daoumi - In memoriam Louise MICHEL. Sur atelierdecreationlibertaire.com ( http://atelierdecreationlibertaire.com/article.php3?id_article=499 )]
* Le troisième film de Benoît Delépine et Gustave Kervern s'appelle Louise-Michel. Bien qu'il ne traite pas de cette figure de la Commune, le scénario (une ouvrière engageant un tueur à gages pour faire abattre son patron) peut rappeler la personnalité de Louise MICHEL dans la radicalité du message qui est exprimé. Le film se clôture, par ailleurs, par une citation de Louise MICHEL.
* Michèle Bernard, dans une chanson intitulée Au cimetière de Levallois-Perret rend, sans la nommer, hommage à Louise MICHEL:
"Au cimetière de Levallois/ Drôle de belle au bois/ Tu dors depuis cent ans, c'est fou/ Comme le temps creuse son trou..."
* Louise Michel de Claire AUZIAS, biographie, Editions du Monde Libertaire.
* Louise Michel, la rebelle , téléfilm et film de Sõlveig Anspach avec Sylvie Testud (2010) sur essentiellement la déportation de Louise MICHEL en Nouvelle-Calédonie. (téléfilm diffusé sur FR3 le 6 mars 2010 à 20h 35 et sortie en salle le le 7 avril 2010 ; spécial 6 pages du "Monde Libertaire", l'hebdomadaire de la Fédération Anarchiste, en prévision avec entre autres, diffusion dans les salles de ciné qui projetteront le film + émissions et interviews sur Radio Libertaire, la radio de la Fédération Anarchiste, avec la réalisatrice et des acteurs/trices du film).


LISTE D'OEUVRES DE LOUISE MICHEL

* Fleurs et ronces , poésies, Paris.
* Le claque-dents , Paris.
* Lueurs dans l'ombre. Plus d'idiots, plus de fous. L'âme intelligente. L'idée libre. L'esprit lucide de la terre à Dieu... Paris, 1861.
* Le livre du jour de l'an: historiettes, contes et légendes pour les enfants , Paris, 1872.
* Légendes et chansons de gestes canaques , Nouméa, 1875.
* Le Gars Yvon, légende bretonne , Paris, 1882.
* Les Méprises, grand roman de moeurs parisiennes , par Louise MICHEL et Jean Guêtré, Paris, 1882.
* La Misère par Louise MICHEL, 2e partie, et Jean Guêtré 1re partie, Paris, 1882.
* Ligue internationale des femmes révolutionnaires, Appel à une réunion , signé: Louise MICHEL, Paris, 1882.
* Manifeste et proclamation de Louise Michel aux citoyennes de Paris , signé: Louise Maboul, Paris, 1883.
* Le Bâtard impérial par L. MICHEL et J. Winter, Paris, 1883.
* Défense de Louise Michel , Bordeaux, 1883.
* La Fille du peuple par L. MICHEL et A. Grippa, Paris, 1883.
* Contes et légendes , Paris, 1884.
* Légendes et chants de gestes canaques , par Louise MICHEL, 1885. [Disponible sur le serveur Gallica ( http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-82414&I=1&M=notice)]
* Les Microbes humains , Paris, 1886.
* Mémoires , tome I, Paris, 1886 ; rééd. Editions Sulliver.
* L'Ere nouvelle, pensée dernière, souvenirs de Calédonie (chant des captifs) , Paris, 1887.
* Les Crimes de l'époque , nouvelles inédites, Paris, 1888.
* Lectures encyclopédiques par cycles attractifs , Paris, 1888.
* Le Monde nouveau , Paris, 1888.
* Prise de possession , Saint-Denis, 1890.
* A travers la vie , poésies, Paris, 1894.
* La Commune, Histoire et souvenirs ( http://classiques.uqac.ca/classiques/michel_louise/la_commune/michel_la_commune.pdf), Paris, 1898.
* Le Rêve , (dans un ouvrage de Constant Martin) Paris, 1898.


Oeuvres posthumes

* Avant la Commune , vol. I, préface de Laurent Tailhade, Alfortville, 1905.
* Les Paysans , par Louise MICHEL et Emile Gautier, Paris, incomplet.
* Je vous écris de ma nuit, correspondance générale, 1850-1904 , édition établie par Xavière Gauthier, Edition de Paris-Max Chaleil ; 1999.
* Histoire de ma vie , texte établi et présenté par Xavière Gauthier, Presses Universitaires de Lyon, 2000, 180 pages (ISBN 2-7297-0648-8).]
* Lettres à Victor Hugo lues par Anouk Grinberg , cédérom, Frémeaux, 2008.
* Le livre du bagne , précédé de Lueurs dans l'ombre, plus d'idiots, plus de fous et du livre d'Hermann , texte établi et présenté par Véronique Fau-Vincenti, Presses Universitaires de Lyon, 2001, 200 pages (ISBN 2-7297-0662-3).
* Légendes et chansons de gestes canaques (1875), suivi de Légendes et chants de gestes canaques , (1885) et de Civilisation , texte établi et présenté par François Bogliolo, Presses Universitaires de Lyon, 2006, 238 pages (ISBN 2-7297-0746-8).
* La Misère , roman de Louise MICHEL et Marguerite Tinayre, texte présenté par Xavière Gauthier et Daniel Armogathe, Presses Universitaires de Lyon, 2006, 1203 pages (ISBN 2-7297-0777-8).


Bibliographie

* Irma Boyer, La Vierge rouge, Louise Michel, d'après des documents inédits, avec quatre portraits André Delpeuch éd., 1927.
* Ernest Girault, Une Colonie d'enfer:Louise Michel en Algérie, La tournée de conférences de Louise Michel et Ernest Girault en Algérie (octobre-décembre 1904 Editions Libertaires, 2007. 15€.
* Pierre Durand, Louise Michel ou la révolution romantique Editeurs Français Réunis, 1971.
* Pierre Durand, Louise Michel, la passion éd. Le Temps des cerises, Pantin, 2005, 180 p. (ISBN 2-84109-552-5). Contient un choix de poèmes de Louise MICHEL.
* Françoise d'Eaubonne, Louise Michel la Canaque: 1873-1880 Editions Encre, 1985.
* Xavière Gauthier, La Vierge rouge Edition de Paris-Max Chaleil, 1999 ; première édition sous le titre: L'insoumise, biographie romancée de Louise Michel.
* Ernest Girault, La Bonne Louise Bibliothèque des auteurs modernes, 1906.
* Xavier de La Fournière, Louise Michel, matricule 2182 Perrin, 1986.
* Paule Lejeune, Louise Michel l'indomptable Editions Des Femmes, 1978.
* Jean Maîtron, Histoire du Mouvement anarchiste.
* Yves Murie, Victorine, le grand secret de Louise Michel chez l'auteur, 2000.
* Yves Murie, L'enfant de la Vierge rouge L'Harmattan, 2003.
* Fernand Planche, La Vie ardente et intrépide de Louise Michel Edition Tops-H. TRINQUIER, 2005.
* Michel RAGON, Georges et Louise Albin Michel, 2000.
* Anne Sizaire, Louise Michel: l'absolu de la générosité Desclée de Brouwer, 1995.
* Edith Thomas, Louise Michel ou la Velléda de l'anarchie Gallimard, 1971.
Rudolf ROCKER
Rudolf ROCKER

Rudolf ROCKER est né le 25 février 1873 à Mayence, fils d'un lithographe. Son père mourut en 1877 ; sa mère se remaria en octobre 1884 et mourut en février 1887 ; après quoi, son beau-père le plaça dans un orphelinat. Durant ces années-là, celui qui lui tint lieu de père fut un oncle du côté maternel, Carl Rudolf Naumann, relieur, et depuis longtemps socialiste. Après un intermède comme mousse sur un bateau, Rudolf ROCKER apprit donc lui-même la reliure, comme le fit aussi son frère Philipp. Grâce à l'oncle, que dans la famille on appelait "le professeur", et à sa grande bibliothèque, il eut accès à la littérature socialiste et à celle des libres penseurs, et adopta bientôt lui aussi la social-démocratie. En mai 1890, il fonda le cercle de lecture "Freiheit", d'après le nom du périodique de Johan MOST à New York. [Johan MOST qui, entre 1873 et 1874, avait étudié le Süddeutsche Volk Stimme, devint dans les mémoires de l'oncle de Rudolf ROCKER le héros particulier auquel il devait plus tard consacrer une légendaire biographie.] Il rejoignit l'opposition interne au parti de ceux que l'on appelait die Jungen (les jeunes), mais il en fut exclu dès l'automne 1890 à cause d'attaques trop violentes contre un "ponte" de ce parti.

 

Cependant, il resta politiquement actif, vendit -souvent de façon illégale- des publications socialistes et anarchistes, et se rapprocha de plus en plus de l'anarchisme. En août 1891, il se rendit à Bruxelles pour participer au Congrès international socialiste (du 18 au 23) et il y rencontra l'anarchiste Karl HOFER, qui sous le pseudonyme de "Lambert" organisait la contrebande et la diffusion de publications anarchistes en Allemagne. Karl HOFER l'introduisit d'emblée dans le mouvement anarchiste et publia en janvier 1892 le premier article de Rudolf ROCKER dans la presse anarchiste, dans la revue Autonomie qui paraissait à Londres. En novembre 1892, il rejoignit à Mayence la Ligue des socialistes indépendants, créée justement par les Jungen exclus du parti, mais il se manifesta toujours plus comme anarchiste. Le 18 décembre 1892, il organisa une grande manifestation à l'occasion d'une grève, au cours de laquelle le successeur de Karl HOFER, Sepp OERTER, prit la parole et fut emprisonné pour contrebande et diffusion de documents interdits. [Friedrich Joseph ("Sepp") OERTER (1870-1928), qui était relieur comme Rudolf ROCKER, fut après deux procès condamné au total à huit ans de prison.] Pour échapper à un destin semblable, mais aussi en même temps au conseil de révision précédent un service militaire qui pointait à l'horizon, Rudolf ROCKER quitta immédiatement Mayence et l'Allemagne et arriva à Paris le 30 décembre 1892. Ainsi commença pour lui un exil qui devait durer jusqu'à la Saint-Sylvestre 1918-1919.

 

A Paris, Rudolf ROCKER prit immédiatement contact avec l'Association (ou Club) des socialistes indépendants et mena à nouveau une vie politique très active. La police française constata bientôt que "depuis l'arrivée du relieur Rocker de Mayence, ce mouvement tendait nettement vers l'anarchie" ; le 1er janvier 1893, il tint pour la première fois une conférence devant un groupe de travailleurs juifs. A partir de là, ses relations avec les Juifs devinrent de plus en plus proches - en particulier avec ceux qui étaient originaires de l'Europe de l'Est. Il devint l'une des figures les plus importantes dans le milieu des immigrés de langue allemande, non seulement à Paris mais aussi à Londres, où il se rendait en diverses occasions pour créer et approfondir des liens entre les divers groupes, et pour établir les bases d'une organisation. Son amie (et bientôt sa femme) le suivit au cours du printemps 1893 de Mayence à Paris et, le 30 août 1893, naquit leur fils unique, Rudolf Philipp.

[Dans la famille, son prénom était Philipp ; plus tard, au sein du mouvement anarchiste où il fut lui aussi longtemps actif, il était "le petit Rudolf" ; il mourut le 24 février 1949 à Bath.]

 

Au début de 1894, il ouvrit un atelier de reliure avec un ami juif, Salomon Seinwel Rappoport (1863-1920) qui, sous le pseudonyme de Anski, devint un des plus éminents écrivains de langue yiddish.

[Ses ouvrages les plus connus sont Der Dybuk (Berlin, 1921) et sous le titre Zwischen zwei Welten (Berlin et Vienne, 1922) ses Gesamelte Schriften, Varsovie-New York, 1921-1928.]

 

Les années 1892 à 1894 furent marquées par des persécutions contre les anarchistes et par des attentats de ces derniers en France, qui entraînèrent de graves conséquences, non seulement pour les anarchistes français mais aussi pour les révolutionnaires allemands et juifs. Après l'assassinat du président Sadi Carnot par l'anarchiste italien Sante CASERIO, à Lyon le 24 janvier 1894, la plupart des amis de Rudolf ROCKER furent appréhendés et expulsés, le Club des socialistes indépendants cessa pratiquement d'exister, et même les groupes juifs évitèrent pendant longtemps toute activité politique. La bibliothèque révolutionnaire russe Lavroff-Gotz, qui à l'époque assurait à Rudolf ROCKER, grâce à la reliure, la plus grande partie de ses revenus, ferma également. C'est pourquoi Rudolf ROCKER se décida en 1894 [En fait, il avait déjà été expulsé de France le 30 novembre 1893, mais l'arrêté d'expulsion ne lui avait jamais été officiellement transmis parce que, dans la confusion des évènements, la police avait perdu sa trace.] à quitter Paris. Devant l'écroulement complet de toutes les structures péniblement construites, sous la vague des répressions arbitraires, il abandonna l'illusion que des actes de violence individuels pourraient déclencher la révolution, et se mit à considérer cette activité à l'instar de Bernard Shaw: il ne fallait pas pratiquer une activité que la police maîtrisait par nature mieux que vous.

 

Le 1er janvier 1895, il arriva à Londres où il s'installa (avec de courtes interruptions) jusqu'en 1914. Depuis longtemps déjà lieu d'émigration politique, Londres était également le centre des mouvements ouvriers européens ; la ville offrit donc à Rudolf ROCKER un vaste champ d'activité. Il s'engagea aussitôt dans la CABV (Communistischen Arbeiter-Bildungverein).

[Depuis sa création, le 7 février 1840, par un groupe d'Allemands venus de France, et de républicains et de néo-babouvistes français demeurant à Londres, la CABV était un centre d'activités pour la plupart progressistes, concernant Londres et ses alentours, et pas seulement pour les travailleurs allemands ; ses membres les plus connus étaient Marx et Engels, et elle se porta garante, entre autres, pour l'impression de ce que l'on appela le Manifeste communiste (1848). Au cours de son histoire, elle a eu toute une série de délégations et de sections: italienne, slave, scandinave, anglaise, française, et également juive, dans l'East End de Londres, par l'afflux massif des Juifs qui fuyaient l'Europe de l'Est depuis le début des années 1880.]

 

Cet important mouvement anarchiste de langue allemande existait depuis longtemps en Angleterre et concernait surtout une population d'immigrés.

 

Lorsque Rudolf ROCKER arriva à Londres, la CABV était déchirée par les querelles et se trouvait en voie de désintégration. Le personnel et les membres des clubs ouvriers n'étaient pour la plupart intéressés que par ces ersatz de "pubs", et plus du tout par les activités politiques (les clubs n'étaient pas soumis, comme les autres établissements autorisés, à vendre de l'alcool aux mêmes strictes heures d'ouverture).

 

A partir de là, Rudolf ROCKER s'orienta immédiatement vers les mouvements ouvriers juifs de l'East End de Londres. Le 8 novembre 1895, il tint au Sugar Loaf, qui était à ce moment-là le lieu de rencontre de l'Association internationale pour l'éducation des ouvriers (en majorité juive) sa première conférence sur "L'importance de Karl Marx et de Lasalle pour le mouvement ouvrier". Le succès fut tel qu'il dut recommencer le 29 novembre et le 3 janvier 1896. A cette occasion -sa femme, elle aussi de Mayence, après quelques mois passés à Londres avec l'enfant, l'avait quitté pour regagner l'Allemagne- il fit alors la connaissance de Milly WITKOP, qui à cette époque participait activement au groupe juif ; elle devint sa compagne pour le reste de sa vie. A partir de l'hiver, il traduisit Paroles d'un révolté de Pierre KROPOTKINE, et une partie de La Société mourante et l'anarchie du Français Jean GRAVE. En mars 1896, parut sa première contribution à la presse anarchiste juive dans l'Arbeiter Freund.

 

Après la perte de son travail, et un chômage persistant, en mai 1898, il décida avec Milly WITKOP, comme l'avaient déjà fait beaucoup d'autres Juifs, d'émigrer vers l'Amérique. Mais à Ellis Island, l'entrée leur fut refusée, faute d'un extrait d'acte de mariage délivré par l'Office de l'immigration. [Embarqués le 14 mai 1898 à Southampton à bord du Chester, ils étaient arrivés le 25 mai à New-York en tant que Rudolf et Milly ROCKER.] Après leur retour, ils s'installèrent pour un certain temps à Liverpool.

 

Bien qu'il ne maîtrisa pas encore parfaitement le yiddish, il accepta l'offre de quelques camarades juifs de publier un journal dans cette langue. Das freie Wort, dont neuf numéros parurent entre le 29 juillet et le 17 septembre 1898. Après quoi, le groupe londonien décida de publier à nouveau régulièrement l'Arbeiter Freund qui ne paraissait alors presque plus, et cela sous la direction de Rudolf ROCKER qui bientôt, grâce à Milly WITKOP, maîtrisa bien le yiddish tant à l'écrit qu'à l'oral.

 

Jusqu'à son incarcération durant la Première Guerre mondiale, et sauf occasionnellement par manque de financement, Rudolf ROCKER dirigea l'Arbeiter Freund en tant que rédacteur, et aussi périodiquement comme typographe, et il le compléta par une revue culturelle et politique fortement orientée, Germinal (1900-1909) ; parallèlement, il mit en route une production très active de brochures et de livres, et démarra un travail d'éducation parmi les immigrés juifs, tout en poursuivant son activité politique. En plus de ses conférences très populaires, il organisa des visites de musées, des sorties au théâtre, des séances de lecture et de discussion littéraire, et pour finir des groupes de théâtre. Politiquement, il travailla intensément à l'organisation des groupes dispersés, couronnée en décembre 1902 par la création de la Fédération des groupes anarchistes de langue yiddish de Grande-Bretagne et de Paris, et aussi par une organisation syndicale des ouvrières et des ouvriers juifs qui travaillaient dans les ateliers de mauvaise réputation, appelés les sweat shops - du système d'exploitation qu'était alors l'industrie de l'habillement ; la plupart travaillaient à domicile, ce qui rendait l'organisation extraordinairement difficile. Dès le début, Rudolf ROCKER essaya de créer des contacts et de coopérer avec des travailleurs et des organisations de travailleurs non juifs, de l'industrie de l'habillement du West End, qui surtout étaient traditionnellement mieux implantés, mais extraordinairement conscients de la concurrence (anglaise, allemande et française). Parmi les résultats les plus remarquables, on compte la grande manifestation organisée le 21 juin 1903 dans Hyde Park, avec des associations non juives contre l'antisémitisme au moment du pogrom de Kishinev, suivie le 6 avril 1904 d'une autre manifestation pour la grève générale des travailleurs juifs jamais organisée dans l'East End.

 

En février 1906, fut ouvert le Club, et institut, de l'ami du travailleur [Concernant le milieu, les personnes et la société, son père et l'East End en général, les souvenirs d'enfance de son fils Fermin -East End: eine Kindhei in London, Münster, bibliothèque Thélème 1993 (1994)- sont extrêmement riches en informations. Fermin (nommé d'après l'anarchiste espagnol ami de son père, Fermin SALVOCHEA) naquit le 22 décembre 1907 à Londres, où il passa son enfance ; il vécut une grande partie de sa jeunesse à Berlin, suivant son père dans le mouvement anarchiste (mort le 18 octobre 2004 à Londres).] qui comprenait une des plus grandes salles de réunion de l'East End londonien, sa propre imprimerie, une école du dimanche très fréquentée et un cours pour apprendre à bien parler en public. Ensuite, Rudolf ROCKER entreprit avec un acteur juif d'ouvrir un théâtre juif (le Pavilion Theater) où furent jouées surtout des pièces où s'exprimaient la critique et l'analyse de la société (Gorki, Léon TOLSTOI, Tchékhov, Ibsen).

 

En 1907, grâce avant tout aux efforts de Rudolf ROCKER, sept syndicats juifs étaient organisés finalement à Londres, dont quatre étaient associés à divers trade-unions (de plus, les syndicats juifs, avant tout par le travail pratique, dépendaient largement de la Fédération anarchiste).

 

Un problème, inhérent depuis toujours à l'activité syndicale dans l'East End, se posait en cas de grève: les tailleurs non juifs du West End (bien payés) étaient utilisés contre les tailleurs juifs (en général chichement rétribués). Cela se termina spectaculairement en 1912, lorsque Rudolf ROCKER, lors d'une grève des tailleurs du West End, put persuader leurs collègues juifs de faire une grève de soutien, qui après la fin victorieuse de la grève dans le West End, fut prolongée jusqu'à l'obtention d'un changement alors fondamental du sweating system. Durant cette grève, Rudolf ROCKER et Milly WITKOP avaient pu pour la première fois obtenir pour les grévistes le soutien général de toute la population de l'East End ; lorsque enfin elle fut triomphalement terminée, Rudolf ROCKER bénéficia dans l'East End, et ensuite dans la sphère des travailleuses et travailleurs juifs et de leurs familles, d'une considération grandissante, si embarrassante pour lui qu'il s'échappa finalement avec son fils pour faire une tournée de propagande aux Etats-Unis, afin de prendre du recul.

 

A son retour en 1913, il reprit avec une énergie intacte, dans un environnement pour lors très réceptif, son travail de propagande et d'organisation, qui fut bientôt brutalement et définitivement interrompu par la déclaration de la Première Guerre mondiale, et par les répercussions de la révolution russe. Tandis que l'anarchiste le plus célèbre de l'époque, Pierre KROPOTKINE, se déclarait avec détermination du côté de la France et de la Grande-Bretagne, contre ce qu'il considérait comme l'incarnation de l'autoritarisme et du militarisme, l'Empire prusso-allemand (ce nom que pendant longtemps le mouvement anarchiste international devait honnir), Rudolf ROCKER répondait dans Arbeiter Freund par quatre articles, d'un esprit "classiquement" anarchiste et antimilitariste: justement parce que la différence entre les deux parties n'était que formelle -il s'agissait essentiellement de deux mécanismes oppressifs-, les anarchistes devaient se tenir au-dessus de toute cette agitation guerrière. Dans cet esprit, il y critiquait vivement son maître et ami Pierre KROPOTKINE. [L'article de Pierre KROPOTKINE, dans lequel il prenait publiquement position (et qui parut dans la traduction de Rudolf ROCKER dans Arbeiter Freund ), s'intitule "An open letter to Professor Steffen", Freedom, (London), octobre 1914 ; cet article a aussi été réimprimé dans Selected Writings of P. A. KROPOTKINE, Cambridge, Mass., 1970, pp. 308-316. La réponse de Rudolf ROCKER, "Kropotkine und der Krieg" parut dans l'Arbeiter Freund, oct-nov 1914 (version anglaise abrégée dans The Spur (London), déc. 1914).] Ses articles véhéments contre la guerre et contre ceux qui la préconisaient furent les dernières occasions où il put s'exprimer librement: le 2 décembre, il fut appréhendé et interné comme étranger ennemi. [Son internement dura du 2 décembre 1914 au 15 mars 1918 ; voir sur ce sujet avant tout les souvenirs de Rudolf ROCKER, Hinter Stacheldraht und Gitter, les souvenirs de la communauté des prisonniers de guerre anglais. Berlin, éditions "Der syndicalist", Fritz Kater, 1925.] Bientôt, la plupart des militants anarchistes juifs subirent le même sort ; sa femme, Milly WITKOP, fut elle aussi internée, le 28 juillet 1916. Finalement, la révolution russe entraîna l'exode de la plupart des militants russes juifs, qui retournèrent en Russie. Le mouvement ouvrier en Angleterre, aussi bien en ce qui concernait les anarchistes juifs que les travailleurs en général, ne se remit jamais de cette hémorragie. Rudolf ROCKER lui-même fut relâché au printemps de 1918 dans le cadre d'un programme d'échange de prisonniers de guerre civils, et fut déporté en Hollande ; l'entrée en Allemagne lui fut refusée jusqu'à la fin de la révolution de novembre.

 

A partir de 1919, il vécut à Berlin avec sa famille. Dès lors, il ne fut pas seulement la figure de proue de l'anarcho-syndicalisme allemand, mais aussi la force initiatrice de l'Association Internationale des Travailleurs. [AIT] En plus de son travail de propagande classique pour un syndicalisme anarchiste, depuis 1924, dans de nombreuses réunions publiques, il combattait le national-socialisme ; aussi, après que ce dernier eut pris le pouvoir, il s'enfuit immédiatement, d'abord en Suisse, puis en passant par la France et l'Angleterre, aux Etats-Unis.

 

"Nous avions d'abord l'intention de passer quelque temps dans le sud de l'Allemagne jusqu'à ce que la plus mauvaise période du tohu-bohu d'après les élections soit terminée. Mais après trois jours passés dans le Sud, nous vîmes bientôt de quel bord le vent soufflait, et nous passâmes la frontière. Aujourd'hui je me réjouis d'avoir suivi les objurgations de Milly: cela aurait été de la folie de se livrer aux mains de ces canailles sans avoir la moindre possibilité de résister."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 17 mars 1933 ; succession Helmut RUDIGER, IISG Amsterdam.]  

 

Depuis le début, il ne se faisait aucune illusion sur la situation en Allemagne et son évolution:

"Ce qui se déroule actuellement en Allemagne est la chose la plus mauvaise que l'histoire de la Réaction moderne ait jamais connu. Même le fascisme italien est un mouvement noble et fier comparé à la bestialité déchaînée qui se répand aujourd'hui en Allemagne [...]. Je redoute que cette vague réactionnaire ne gagne toute l'Europe ; certes, il y aura après coup un grand sursaut d'idées libérales. Mais combien de temps durera le temps des ténèbres, personne ne peut le dire ; qui plus est, une prochaine guerre est aujourd'hui tout à fait du domaine du possible. L'Europe est assise sur un volcan et s'effondrera peut-être complètement. Cependant, nous ne devons pas perdre courage et devons remonter le courant et, dès aujourd'hui, ne pas faire la moindre concession aux puissances de la violence et de la tyrannie. C'est seulement ainsi qu'il sera possible de garder vivante dans une petite minorité l'étincelle de la liberté, afin qu'elle puisse un jour redevenir une flamme."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 17 mars 1933 ; sucession Helmut RUDIGER, IISG Amsterdam.]

 

Le 26 août 1933, Rudolf ROCKER quitta l'Europe avec Milly WITKOP, par Southampton [Et non le 25 août depuis Liverpool, comme cela a été relaté par erreur dans des souvenirs: ils sont partis de Southampton le 26 août, sur le steamer Statendam et sont arrivés le 2 septembre 1933 à New York ; pour un voyage d'agrément et une visite chez des amis, ils reçurent un visa limité à six mois, qui fut légalement prolongé tous les trois ou six mois jusqu'en 1938.] et, jusqu'à sa mort, vingt-cinq ans après, il ne revint pas en Europe.

L'exil aux Etats-Unis fut vécu du début à la fin dans l'angoisse d'être expulsé, alors que l'arrière-plan social correspondant à la situation politique générale demeurait instable.

 

"Ici, je fus le plus souvent dénoncé par les nazis, et les autorités s'occupaient maintenant de moi en conséquence. Pas plus tard qu'hier, j'ai eu encore la visite d'un officier de l'immigration."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 20 juillet 1934 (IISG).

 

Ce qui, dans un milieu généralement hostile aux étrangers, devait être très perturbant.

 

"La campagne de dénigrement de la presse <<jaune>> contre les étrangers a pris un caractère tout à fait malveillant, et ceux que l'on appelle les libéraux se tiennent sur la défensive, et ils sont lâches et indécis, si bien que la meute réactionnaire ne rencontre à vrai dire aucune opposition et domine de plus en plus le terrain."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 26 juin 1935 (IISG).

 

Cet état de fait fut alors relayé sans interruption, dans les années d'après-guerre, par la haine générale émanant des activités du maccarthysme. Dans cette situation, les conditions dont Rudolf ROCKER avait besoin pour pouvoir encore accomplir un travail politique, changèrent aussi forcément ; et beaucoup l'admiraient, et on consultait ce grand old man de l'anarchisme pour toutes sortes de questions. Ses analyses de politique générale, dont celles correspondant alors à la situation et comparées avec sa radicalité précédente, plutôt pessimistes, mais aussi sa prise de position pour le combat des Alliés contre l'Allemagne nazie, en apparence contradictoire avec son attitude de 1914, conduisirent à des attaques plutôt véhémentes.

 

Si l'organisation des travailleurs avait compté parmi les objectifs les plus importants dans l'ensemble de son précédent travail politique, il fait maintenant de nombreuses remarques dont l'autocritique n'est pas absente, même lorsqu'elles sont principalement dirigées contre les faits réels:

"L'organisation est une chose nécessaire, mais si l'esprit et l'élan dans l'action s'en trouvent étouffés, elle est nuisible. C'est ce dont l'Allemagne a dû faire l'expérience en ces temps difficiles. On y a justement tout organisé, pour tout ramener à une certaine norme, et on a, ce faisant, perdu la mobilité et l'initiative dans l'action."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 22 juillet 1933 (IISG).

 

Et c'est alors qu'il essaye de concevoir un anarchisme un peu plus ouvert, moins concret, mais encore tout à fait pragmatique.

 

"Nous avons perdu le sens de la communauté, et les milliers de partis et d'institutions qui se réclament toujours de la collectivité ont surtout contribué à sa complète destruction. Nous avons beaucoup trop organisé et ainsi perdu le sens de l'organique, du vivant. C'est précisément pourquoi je suis anarchiste ; pour moi, l'anarchie n'est pas l'empire millénaire de l'accomplissement, mais une force toujours agissante dans le devenir humain, qui porte en elle la force spirituelle de se tenir debout, la foi, l'initiative et l'élan indomptable contre toute contrainte."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 20 juillet 1934 (IISG).

 

Malgré sa prise de position explicite et sans restriction en faveur des Alliés, il conserve après coup, en ce qui concerne la question de la responsabilité ou de la culpabilité, une remarquable impartialité.

 

"Je n'ai jamais affirmé que l'Allemagne ou le peuple allemand étaient les seuls responsables de l'horrible catastrophe qui a touché le monde entier. Les couches sociales de la haute finance, du grand capital et des trusts de l'armement, que Hitler a si brillamment financées, afin qu'elles puissent transformer en une armée ses bandes de meurtriers, sont aussi responsables devant l'histoire que les partisans des maîtres de la terreur brune. Et sont aussi complices tous ceux qui à l'étranger ont fourni à Hitler, une fois qu'il a été mis en selle, les matières premières utiles à l'armement de sa machine de guerre, tout en sachant bien que toutes ces livraisons ne devaient pas servir à monter une pièce de théâtre. Complices ils le sont aussi, tous ceux qui considéraient le nazisme comme une problématique uniquement allemande, et n'avaient pas compris, ou ne voulaient pas comprendre, que tout despote commence par opprimer son propre peuple, et que lorsqu'il a réussi à le faire, il étend ses prétentions sur d'autres peuples [...]. Mais je n'ai pas perdu le sens de l'équilibre lorsqu'il s'agissait du juste partage de cette grande culpabilité."

[Au même endroit (AAB) ; imprécis et avec des omissions à l'endroit cité.]

 

En 1945, après la victoire sur l'Allemagne de Hitler, la situation n'était pas définitivement assainie, tant pour Rudolf ROCKER que pour ses amis émigrés à l'Ouest. Il resta pourtant fidèle à l'une de ses convictions qui l'avait poussé dès 1921-1922 à créer l'Association internationale des travailleurs [AIT] contre les aspirations "moscovites" à l'intérieur du Komintern et de l'Internationale syndicale rouge. En même temps, il exprimait l'idée qu'une "Allemagne libre est naturellement toujours possible dans le cadre d'une Fédération des peuples européens" [Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 26 octobre 1946 (AAB) ; cité aussi dans Aus Rudolf Rocker Briefen, au même endroit, p. 4.] - et il ajoutait: "La Fédération européenne a besoin de l'Allemagne, car une construction commune est impensable sans le territoire de la Ruhr."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 1er octobre 1947 (AAB).]

 

A son appréciation du mouvement anarchiste, qui lui était si cher, s'associait un leitmotiv mi-mélancolique mi-pessimiste, qui renvoyait toujours à cette déclaration de principe essentiellement pragmatique:

"Je ne sais pas si cela nous serait douloureux, si d'anciens mouvements, qui ont rempli leurs objectifs, devaient disparaître de la scène. Il en est des mouvements, des institutions et des opinions comme des hommes eux-mêmes. Ils fleurissent, se développent, atteignent leur apogée et finissent par tomber dans le déclin. Il importe ue les idées que nos prédécesseurs nous ont transmises ne se perdent pas et fassent leur chemin pour aller à la rencontre de la nouvelle situation [...]. Le dogmatisme a toujours été un mal, mais aujourd'hui c'est un danger, et peut-être même un crime envers soi-même et les autres."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 13 septembre 1955 (AAB) ; et aussi dans des extraits de Aus Rudolf Rocker Briefen, à l'endroit cité, p. 7.]

 

Pour Rudolf ROCKER, ce qu'il fallait conserver dans tous les cas, c'était une association née dans la liberté sous ses multiples formes, une association ne reposant surtout pas sur les décrets d'une quelconque autorité mais sur la conviction commune de la nécessité de la justice sociale.

 

"Il y a mille choses dans la vie sociale qu'un mouvement ne peut pas couvrir, mais qui toutes ensemble constituent l'essentiel de notre vie et qui luttent sans cesse pour trouver d'autres formes d'expression [...]. Comprendre cela, c'est la condition fondamentale de toute aspiration véritablement anarchiste.

La croyance en un système économique uniforme est à rejeter parce qu'un tel système tuerait l'économie [...]. La vraie grandeur de la pensée socialiste ne résidait pas dans le fait qu'elle cherchait à donner à l'économie une certaine forme d'unité, mais dans le fait qu'elle voulait donner à l'économie une base éthique qui tendait au partage le plus juste possible des produits du travail."

[Rudolf ROCKER à Helmut RUDIGER, 1er octobre 1945 (AAB) ; et aussi dans Aus Rudolf Rocker Briefen à l'endroit cité, p. 4.]

 

Rudolf ROCKER mourut le 13 septembre 1958 à New York.

 

Heiner BECKER

(Biographie publiée dans Nationalisme et culture de Rudolf ROCKER. Voir ici même dans la rubrique "Ouvrages Anars" la présentation de ce livre.)

 

Sara BERENGUER
Sara BERENGUER

Tous les extraits ci-dessous sont issus de la brochure sur Sara BERENGUER parue aux Editions du Monde Libertaire en 2000.

Sara est née le 1er janvier 1919 à Barcelone.
Fille d'un ouvrier maçon, elle n'a droit qu'à une scolarité primaire. A 13 ans, elle se retrouve au boulot, d'abord dans une boucherie, ensuite comme dentellière.
Elle a 17 ans, le 19 juillet 36, quand éclate la révolution espagnole.

Elle déjà sait ce que sont la condition de femme, l'exploitation, le salariat et le machisme. Elle ne connaît pas encore les mots pour les nommer, mais elle va les apprendre très vite.

Après avoir fait le coup de feu avec son père, elle milite au Comité révolutionnaire du quartier.
Le soir, elle fréquente les Jeunesses libertaires et l'Athénée libertaire. Elle y rencontrera [...] le compagnon de sa vie.

En mai 37, elle est sur les barricades et milite à Solidarité internationale Antifasciste.
En octobre 1938, elle rejoint le secrétariat à la propagande de Mujeres Libres.
En 1939, c'est la défaite et l'exil en France. Elle atterrit du côté de Béziers et, entre précarité, misère et survie, continue à militer. [...]

En 1963, après l'exécution de DELGADO et GRANADOS, elle est arrêtée par la DST au motif "d'association de malfaiteurs". Il faut dire que

la porte de la maison était ouverte à toutes celles et tous ceux qui partaient se battre en Espagne. [...]

En 1965, le bulletin Mujeres Libres reparaît sous la direction de Suceso PORTALES. Sara fera tout naturellement partie du comité de rédaction.

Aujourd'hui [...] elle a toujours au fond des yeux ce pétillement propre à toutes les femmes libres... à toutes les femmes libertaires.

Jean-Marc RAYNAUD


INTRODUCTION (de Jacinte RAUSA)

Si l'égalité entre les sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine."
Louise MICHEL

[...] Si l'anarchie a pris trop souvent des tournures viriles, il n'en reste pas moins que les femmes ont leur place, à parts égales, dans ce tableau d'amour et de fraternité.
Toutes les femmes n'ont pas la renommée d'une Emma GOLDMAN, d'une Louise MICHEL, d'une Alexandra DAVID...
Si on fait surtout référence à celles-ci, c'est qu'elles ont su porter la révolte et la parole libertaire à la manière des "mâles", par leurs écrits, leurs conférences, leurs pérégrinations diverses au service de leur idéal.

La majorité des femmes, éduquées à jouer le rôle traditionnel que leur accorde la société machiste: mères nourricières, éleveuses, gardiennes et propagatrices de la tradition, n'ont pas accédé, aussi facilement que les hommes, au monde de la parole.

De nos jours encore, malgré la nette amélioration de la condition de la femme, en Europe du moins, le nombre des femmes impliquées dans les organisations "politiques", est moindre que celui des hommes. Elles écrivent moins dans la presse, elles publient moins de livres. Dans les organisations libertaires les femmes aussi sont en minorité.

Lors des brèves périodes où notre idéal a été mis en pratique, on retrouve cependant les femmes sur le même plan que les hommes, dans le discours et dans les actes. Souvent plutôt dans les actes, d'ailleurs, que dans le discours.

Une des époques les plus fécondes en réalisations féminines est la période de la Révolution espagnole.
En Espagne libertaire, les femmes ont baigné dans le même idéal, elles se sont impliquées dans la même construction du Monde Nouveau que les hommes.

Alors que tous les hommes jeunes, les militants libertaires les plus convaincus étaient sur le front, qui a fait vivre les collectivités libertaires, l'autogestion dans les usines, les cantines collectives ?
Qui a pris les armes aussi (tant que les staliniens n'ont pas pris le pouvoir) ?
Qui a ravitaillé le front ?
Qui a organisé l'exode solidaire, les refuges d'enfants ?
Et mille autres choses encore ?...



Des femmes !

Broué et Témine dansRévolution et la guerre d'Espagne reconnaissent qu'Une des preuves de la profondeur de la révolution est l'abondante participation des femmes dans tous les secteurs, tant dans les comités que dans les milices.

On peut affirmer que sans leur implication militante, le Communisme Libertaire n'aurait pas duré 32 mois. Il se serait éteint aux premières attaques de nos pires ennemis: les staliniens.

Refusant leur rôle traditionnel, par conviction ou sans conviction préalable, mais l'intelligence exacerbée par la situation révolutionnaire, ces femmes créent la société libertaire avec les hommes, parfois avec l'homme qu'elles avaient choisi comme compagnon, parfois même, abandonnant le fiancé ou le mari qui s'est révélé par trop réactionnaire, elles s'émancipent de sa tutelle.

Au cours des 32 mois de révolution et de guerre, les femmes ont été très souvent le moteur, l'énergie, les bras de la production, les instigatrices de bon nombre de réalisations sociales, sanitaires, culturelles. Elles ont écrit, tenu des conférences, organisé l'enseignement...


Et puis est venu l'exil...

Et on n'a presque plus entendu que des voix mâles. Dans les milieux anarchistes exilés, peu de femmes libertaires ont su conjuguer leur condition féminine, leur "rôle" de mères "enfanteuses" et éleveuses avec une vie de militantes engagées dans les organisations libertaires, syndicales, philosophiques, culturelles, sociales ou féministes. Elles se sont, le plus souvent, contentées de jouer un rôle écrit par d'autres, dans l'ombre de celui qui était le mâle, avant d'être libertaire. Elles n'ont plus revendiqué aussi fort le droit d'être mères lorsqu'elles le voulaient, et si elles le voulaient, d'élever ou non leurs enfants, de participer à la production ou non, de s'investir dans la vie sociale. Elles ont égaré, sur le chemin de l'exode, tous les acquis (ou presque) que la révolution leur avait fait conquérir en quelques heures.

Leur "libération" a duré 32 mois. Dans la plupart des cas, si elles en ont conservé quelques acquis, personne n'en n'a jamais rien su.
Toutefois, quelques-unes se sont distinguées des autres, en se faisant entendre, en publiant leurs revendications, en s'associant (Mujeres Libres) et en luttant pour l'émancipation des autres femmes fidèles à l'adage du camarade vitamine: La liberté d'autrui étend la mienne à l'infini.

Les autres, plus nombreuses, se sont contentées d'élever leurs enfants dans la philosophie libertaire de solidarité et d'amour, espérant ainsi propager et développer ce à quoi elles-mêmes n'avaient pu aboutir, faute de temps. Celles-ci étaient souvent les compagnes de libertaires militants, qu'elles soutenaient... en silence.

On a consacré trop peu d'attention à ces femmes de la Révolution espagnole. Si Mary Nash leur a consacré un ouvrage en 1975 [En français: Femmes Libres, Editions La pensée Sauvage, 1977.] depuis, peu d'écrits sont venus témoigner de leur lutte. Cette injustice a été corrigée, en partie, par Vicente Aranda, avec son film Libertarias et par Ken Loach, avec Land and Freedom qui témoignent fidèlement du courage de ces femmes, [...] mais ne valorisent que leur engagement dans la lutte armée. Ils ne disent rien de leur implication dans l'agriculture, l'industrie, le social, la santé, la solidarité, l'instruction des femmes et des enfants... Et c'est pourtant dans ces domaines que les femmes ont donné le meilleur d'elles-mêmes.

Elles se nomment: Lucia Sanchez SAORNIL, Amparo Poch y GASCON, Mercedes Comaposada GUILLEN, Pilar GRANGEL, Libertad RODENAS, Lola ITURBE, [Voir le livre de Lola ITURBE, La mujer en la lucha social - La guerra Civil en Espana, Editions Mexicanos Unidos, 1974.] Aura Cuadrado ALBEROLA, Pepita CARPENA [...], Suceso PORTALES, pour les plus connues. Des Valentina, Remedios, Teresa, Maria, Pilarin, Carmen, Gracia, Antonia et tant et tant d'autres encore, qui s'en souvient ?

Pour que l'oeuvre de ces femmes ne sombre pas dans l'oubli, Sara a accepté que nous publions sa biographie, non pas comme un acte de louange à son égard mais en tant que témoignage de ce qu'à pu être la vie de celles qui ont été ses compagnes.

Sara est l'exemple type de ces femmes qui se sont révélées le 19 juillet 1936 et qui ont su conjuguer leur vie, non seulement au rythme des qualités dites féminines: la douceur, la tendresse, le courage, la maternité, l'endurance... mais aussi au rythme de l'engagement militant.

Dans notre génération, ces différentes aptitudes sont moins spécifiques, moins sexuées que par le passé, les hommes libertaires ayant acquis une capacité de tendresse envers leurs compagnes et leurs enfants qui n'enlève rien à leurs attraits de mâle, au contraire, et les femmes libertaires "s'autorisant" à prendre la parole, réservée auparavant aux hommes, sans perdre leur féminité pour autant.

La biographie de Sara, que je me propose de retracer au gré de ses coups de coeur et de ses luttes, illustre ce qu'a pu être la vie d'une militante libertaire qui s'est construite elle-même, au fil de sa propre histoire et de l'histoire d'une Révolution. Elle reste [...] la même militante féminine et libertaire (Sara ne veut pas que l'on dise d'elle qu'elle est féministe, et encore moins anarchiste, elle dit qu'être anarchiste c'est beaucoup plus que ce qu'elle est... ).

Jacinte RAUSA

 

Source anarchie23.centerblog.net

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commentaires

T
<br /> <br /> Mince, je voulais mettre un article sur Louise Michel pour demain.<br /> <br /> <br /> Superbe article Cyril<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Un peu d'histoire ne peut jamais faire de mal.<br /> <br /> <br /> <br />

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