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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 21:33
Comparaison des crises de 1929 et d’aujourd’hui. Crises, bulles, spéculations
Par Mis en ligne le 04 décembre 2011
Fritz Weber, His­to­rien de l’économie spé­cia­lisé dans l’histoire du mou­ve­ment syn­dical et des banques en Eu­rope cen­trale aux xixe et xxe siècles. Ses der­niers livres portent sur l’histoire de la gauche du Parti so­cia­liste au­tri­chien lors de la re­cons­truc­tion après 1945 et sur la pré­his­toire de la crise fi­nan­cière en Autriche.

Le monde a connu un krach fi­nan­cier à l’automne 2008, qui a conduit les mar­chés fi­nan­ciers au bord de l’effondrement. Le calme est re­venu en­suite (plus exac­te­ment un re­tour au calme or­ga­nisé) jusqu’à ce qu’un autre pro­blème crée de nou­velles tur­bu­lences. Main­te­nant, ce sont les États qui – parce qu’ils ont (pré­ten­du­ment ou réel­le­ment) « vécu au-dessus de leurs moyens » et contracté des dettes – se re­trouvent sur le banc des ac­cusés. Les mar­chés sont ac­quittés. On leur permet, sans les gêner, d’investir de nou­veaux ter­rains de spé­cu­la­tion, comme les ma­tières pre­mières ou les pro­duits ali­men­taires. L’addition sera tou­te­fois payée, comme tou­jours, par d’autres.

Ce pro­blème n’est pas nou­veau : au cours des quatre der­niers siècles, une crise fi­nan­cière a éclaté en moyenne tous les dix ans1. Ces per­tur­ba­tions ont aussi été la norme au cours du xxe siècle, sauf entre 1945 et 1971. Au cours de cette pé­riode, les mar­chés fi­nan­ciers étaient stric­te­ment régulés2. Mais à partir des an­nées 1980, les digues ont été éliminées3.

Le ré­sultat n’est pas sur­pre­nant : d’après des re­cherches du Fonds mo­né­taire in­ter­na­tional (FMI), il y a eu, du­rant les deux dé­cen­nies qui ont suivi 1975, 158 crises mo­né­taires et 54 crises ban­caires (pour la plu­part dans les pays en voie de dé­ve­lop­pe­ment et émer­gents), qui ont sus­cité en moyenne une ré­ces­sion de 8 % du PIB, et même de 11,5 % pour les crises ban­caires, aux États-Unis, au Japon et ailleurs4.

Comme l’écrit l’historien de l’économie al­le­mand, Werner Plumpe : « à l’échelle du monde, les tur­bu­lences mo­né­taires ont aug­menté de­puis les an­nées 1980. […] La confi­gu­ra­tion déjà connue au xixe siècle d’un pro­cessus de crises mul­tiples constitué de crises conjonc­tu­relles, d’excès de spé­cu­la­tion et de crises mo­né­taires et de la dette est de re­tour. » 5

Un pa­ral­lèle avec 1929 ?

La ques­tion du pa­ral­lèle entre la crise éco­no­mique mon­diale de 1929 et celle d’aujourd’hui est sou­vent posée. L’évidence sta­tis­tique tout comme la re­cherche sur les causes plaident en sens contraire6.

Quand on évoque la crise de 1929, la plu­part pensent au krach bour­sier de Wall Street en oc­tobre 1929. L’éclatement de la bulle spé­cu­la­tive des ac­tions n’a tou­te­fois été que le ré­vé­la­teur de la dé­pres­sion mon­diale. Ses causes sont à re­cher­cher dans de nom­breuses dé­rives de l’économie mon­diale qui, pour une part, ont à voir avec la Pre­mière Guerre mon­diale. Seuls les États-Unis connais­saient la pros­pé­rité en 1929 ; en Eu­rope, les an­nées 1920 étaient beau­coup moins celles d’un « âge d’or ».

Le dé­clen­che­ment de la crise éco­no­mique mon­diale a aussi mis en lu­mière les pro­blèmes ca­chés des banques eu­ro­péennes. Elle a culminé dans une crise fi­nan­cière aiguë, qui a dé­buté avec la faillite de la Öster­rei­chische Cre­di­tans­talt en mai 1931 pour ga­gner ra­pi­de­ment l’Allemagne et la Grande-Bretagne et ag­graver la crise industrielle.

Contrai­re­ment à 2008 tou­te­fois, les pro­blèmes des banques n’étaient pas la cause mais la consé­quence des pro­blèmes de l’industrie. Et la puis­sance du ca­pital fi­nan­cier re­po­sait sur les liens étroits avec l’industrie, et non pas comme aujourd’hui sur une sé­pa­ra­tion voulue.

Ce qui est ar­rivé en 2008 a été le ré­sultat, selon le Pre­mier mi­nistre bri­tan­nique Gordon Brown, d’une po­li­tique menée de­puis trois dé­cen­nies et qu’on peut dé­crire comme la do­mi­na­tion du néo­li­bé­ra­lisme dans l’économie7. Cette ère de confiance aveugle dans le marché n’est pas ter­minée, loin s’en faut. Le combat pour l’hégémonie dans le débat sur les po­li­tiques éco­no­miques vient au contraire seule­ment de com­mencer. Ce sont seule­ment les thèmes qui ont changé. On ne parle plus de la dé­faillance des mar­chés fi­nan­ciers et des pra­tiques té­mé­raires des banques et de leurs di­ri­geants mais – voir la Grèce, l’Irlande, le Por­tugal, l’Espagne, l’Italie et peut-être bientôt la France – des er­reurs des di­ri­geants et des dettes pu­bliques. Les excès du ca­pi­ta­lisme de ca­sino, qui a in­venté des titres et les a fait cir­culer dans la sphère fi­nan­cière alors que per­sonne n’en com­pre­nait les risques, ne doivent pas être ou­bliés. Ils sont la vraie cause du pro­blème des dettes souveraines.

Alors que la spé­cu­la­tion s’est en partie dé­placée vers les ma­tières pre­mières, les mé­taux pré­cieux et les pro­duits ali­men­taires et qu’existe le risque de nou­velles bulles dan­ge­reuses, une autre partie se concentre sur l’isolement et la chasse des États fi­nan­ciè­re­ment « voyous », sus­cep­tibles d’être dé­clarés in­dignes d’obtenir des cré­dits. Les mêmes agences de no­ta­tion qui ont ac­cordé à la lé­gère et de façon cri­mi­nelle un triple A aux lé­gen­daires sub­primes, cause de la ré­cente crise fi­nan­cière, dé­gradent main­te­nant les obli­ga­tions d’État en junk bonds et tra­vaillent pour les mêmes « chas­seurs de bonus » qui ont pré­cé­dem­ment convaincu le gou­ver­ne­ment grec de faire de la corde raide avec des me­sures fi­nan­cières ris­quées et qui vou­draient aujourd’hui avec leurs mau­vais conseils as­sainir le pays jusqu’à le détruire.

Le pré­tendu « sau­ve­tage » des États est au fond un projet idéo­lo­gique qui ne sert en fin de compte qu’à sauver les banques créan­cières. Na­guère, on ap­pe­lait cela la « so­cia­li­sa­tion des pertes ». Ce pro­cessus peut dans des si­tua­tions ex­trêmes être ra­tionnel pour le sys­tème car les crises fi­nan­cières ai­guës ont leur dy­na­mique propre et – une fois lan­cées – sont dif­fi­ciles à re­mettre sous contrôle. Il faut noter ici que les re­quins de la fi­nance sont de­venus si puis­sants qu’ils ont été en me­sure de­puis un an déjà de ral­lier à leurs vues une UE très indécise.

La crise est-elle passée ?

La crise fi­nan­cière a été traitée en ur­gence en 2008 et 2009 par des in­ter­ven­tions conver­gentes des banques cen­trales et des gou­ver­ne­ments en Eu­rope et aux États-Unis. Mais elle n’est pas en­core sur­montée. Comme en 1929, l’amélioration de la si­tua­tion éco­no­mique est aujourd’hui me­nacée par des sur-réactions des gou­ver­ne­ments et de ce qu’on ap­pelle les « mar­chés ». Une ac­cen­tua­tion de la crise est fon­da­men­ta­le­ment pen­sable – au-delà de toutes les dif­fé­rences avec 1929. Mais le dé­rou­le­ment de la crise est dif­fé­rent : en 1929 la crise est ap­parue dans l’économie réelle (dans l’agriculture et l’industrie) pour at­teindre deux ans plus tard – en 1929  – le sec­teur fi­nan­cier et, à partir de là, ren­forcée par des er­reurs de po­li­tique éco­no­mique, ré­agir sur l’économie réelle.

Ce danger existe fon­da­men­ta­le­ment aujourd’hui aussi, sur­tout si les États s’attaquent pré­ma­tu­ré­ment et de façon exa­gé­ré­ment dog­ma­tique aux dé­fi­cits créés par la so­cia­li­sa­tion des pertes (mot-clé : ré­duc­tion des dé­fi­cits). D’un autre côté, il existe des fac­teurs de ra­len­tis­se­ment de la crise, comme par exemple la dy­na­mique de crois­sance qui existe tou­jours dans les pays émer­gents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil8.

Les dé­buts de la do­mi­na­tion du « ca­pital fi­nan­cier » ont été ana­lysés avant la Pre­mière Guerre mon­diale par des pen­seurs mar­xistes comme Ru­dolf Hil­fer­ding. Mais c’est seule­ment au cours des vingt der­nières an­nées que le sec­teur fi­nan­cier est de­venu le maître du monde, au sens em­pha­tique du terme. Li­bé­rées de toutes les contraintes ré­gu­la­trices, les banques et les « banques fan­tômes » (Fonds) ont joué une par­ti­tion sur la­quelle les mar­chés fi­nan­ciers et l’économie réelle mon­diale ont dansé : en 1980, le PIB mon­dial, avec 12000 mil­liards de dol­lars, dé­pas­sait en­core l’accumulation fi­nan­cière (10100 mil­liards de dol­lars). Seize ans plus tard, le PIB mon­dial était de 48300 mil­liards de dol­lars, contre 167000 mil­liards de dol­lars pour la fi­nance, dont 100000 mil­liards de dol­lars pour les pa­tri­moines fi­nan­ciers privés9.

En 2010, la va­leur to­tale des biens et des ser­vices pro­duits dans le monde (le PIB total) était de 63000 mil­liards de dol­lars. Le vo­lume des échanges d’actions et d’obligations, avec 87000 mil­liards de dol­lars, la dé­pas­sait de 40 %. Le vo­lume no­minal es­timé des tran­sac­tions sur les pro­duits dé­rivés hors bourses se mon­tait la même année à 601000 mil­liards de dol­lars ; le vo­lume des tran­sac­tions mo­né­taires (ex­tra­polé sur la base des échanges d’avril 2010) a at­teint le mon­tant de rêve de 955000 mil­liards de dol­lars, c’est-à-dire presque quinze fois la va­leur du PIB mon­dial. Tout cela illustre ce que peut avoir d’illusoire la ca­pa­cité d’intervention des États et des banques cen­trales en cas de pa­nique financière.

Le ballet des ac­teurs de la fi­nance n’est pas en­core ter­miné. Mais on en a fini avec une chi­mère en tout cas : l’idée que le gon­fle­ment du sec­teur fi­nan­cier peut du­ra­ble­ment créer de la ri­chesse so­ciale, de la crois­sance et des em­plois, sans que les banques jouent leur rôle tra­di­tionnel de fi­nan­ce­ment de l’économie réelle. En réa­lité, la forte crois­sance de la va­leur dans le sec­teur fi­nan­cier re­po­sait sur la sous-estimation sys­té­ma­tique des risques et de l’accumulation de gains imaginaires10.

Il y a banque et banque

Il faut avant tout re­di­men­sionner un sec­teur fi­nan­cier trop gonflé. Mais il faut dis­tin­guer deux types de banques : celles dont l’activité prin­ci­pale est aujourd’hui comme hier de mettre du crédit à la dis­po­si­tion du sec­teur pro­ductif et celles dont les ac­ti­vités sont spé­cu­la­tives, jusqu’aux « banques fan­tômes », et parmi elles d’abord les hedge funds. Les banques d’affaires ont res­senti prin­ci­pa­le­ment la vague se­con­daire du choc de 2008, quand la crise a gagné l’économie réelle et s’est trans­formée en crise mon­diale du crédit et de la confiance, ce qui a me­nacé d’assécher les ca­naux de refinancement.

L’économie est pour une large part psy­cho­logie (par­ti­cu­liè­re­ment dans le sec­teur fi­nan­cier), et a à voir avec la confiance et une vi­sion op­ti­miste de l’avenir. Chaque crise fi­nan­cière se tra­duit par une in­ver­sion, de l’euphorie à une né­vrose aiguë de pa­nique. À la fin de 2008, la mé­fiance entre les banques avait at­teint un ni­veau propre à pa­ra­lyser le marché mo­né­taire. Comme les banques d’affaires re­fu­saient de se prêter de l’argent entre elles, les banques cen­trales et les gou­ver­ne­ments ont sauté dans la brèche. Le gou­ver­neur de la banque cen­trale es­pa­gnole a dé­crit ainsi cette si­tua­tion dangereuse :

« Le com­merce in­ter­ban­caire ne fonc­tionne pas, ce qui en­clenche un cercle vi­cieux : les consom­ma­teurs ne consomment plus, les en­tre­prises n’entreprennent pas, les in­ves­tis­seurs n’investissent pas et les banques ne prêtent pas. Nous sommes face à une pa­ra­lysie presque to­tale… » 11.

C’est en fait le scé­nario du pire, qui crée les dé­pres­sions – qui n’est par ha­sard un mot venu de la psy­chia­trie. Et, en effet, les mar­chés et les bourses ne connaissent que deux états : ma­niaque et dé­pressif. Si on laisse la ma­ladie se dé­ve­lopper ; on ar­rive à ce que nous vi­vons aujourd’hui.

On pour­rait penser que les banques spé­cu­la­tives ont tiré les le­çons de leur mésa­ven­ture. Si seule­ment c’était un ca­sino, comme le pensent beau­coup ! Mais il s’agit d’une vé­ri­table in­dus­trie fi­nan­cière qui – mue par la chasse à l’argent ra­pide – a continué (ou presque) comme avant 2008. Voir l’UBS, où la di­rec­tion de la banque laisse un jeune joueur jouer pour son propre compte aussi long­temps que cela marche. Si cela va mal, on le fait arrêter.

Comme au cours de la crise mon­diale de 1929, il manque au mi­nimum des règles strictes – si on consi­dère qu’on ne peut pas se dé­bar­rasser tout de suite du ca­pi­ta­lisme comme sys­tème. Aux États-Unis, le Glass-Seagal Act a tracé une fron­tière stricte entre banques d’investissement et banques com­mer­ciales « nor­males ». L’abrogation de cette loi en 1999 sous Bill Clinton a contribué lar­ge­ment à la gra­vité de la crise de 2008.

Le sec­teur fi­nan­cier, qui a grandi de façon gi­gan­tesque, est en­châssé dans un nou­veau sys­tème ca­pi­ta­liste où le sec­teur in­dus­triel est né­gligé car les di­vi­dendes tirés de l’investissement fi­nan­cier sont net­te­ment plus élevés. Pour l’économie réelle, on a in­venté de nou­velles « théo­ries » comme celle de la va­leur pour l’actionnaire, où le gain ra­pide à n’importe quel prix a été élevé en prin­cipe su­prême. Là en­core, ce sont prin­ci­pa­le­ment les in­ves­tis­seurs fi­nan­ciers (banques, fonds, as­su­rances) qui en ont tiré profit.

Dans les pays in­dus­tria­lisés, tout cela a conduit à la baisse de la part des sa­laires. Aux États-Unis, l’écart entre pauvres et riches, écrit même la Neue Zür­cher Zei­tung (NZZ), se­rait « entre-temps de­venu plus élevé que dans les ré­pu­bliques ba­na­nières tra­di­tion­nelles ». Le 1 % le plus riche de la po­pu­la­tion amé­ri­caine ac­ca­pare aujourd’hui (chiffres de 2007) plus de 18 % du re­venu na­tional. Les sa­laires les plus élevés équi­va­lent à 531 fois le sa­laire moyen. En 1980, le rap­port était en­core de 1 à 4112. Il est in­té­res­sant de noter qu’en 1929, cette ex­trême ré­par­ti­tion des re­venus était sem­blable à ce qu’elle est aujourd’hui. Le 1 % le plus fa­vo­risé ac­ca­pa­rait 18,4 % de tous les re­venus, contre 18,3 % en 200713. Il se­rait in­té­res­sant de sa­voir, pour la re­cherche sur les causes des crises fi­nan­cières, si une telle confi­gu­ra­tion porte en germe la for­ma­tion de bulles spéculatives.

Dans une éco­nomie fermée, on de­vrait as­sister à une in­évi­table crise de sous-consommation. Le néo­li­bé­ra­lisme a ré­solu le pro­blème de façon « créa­tive » : la dé­lo­ca­li­sa­tion de la pro­duc­tion dans des pays à faibles sa­laires a ou­vert un es­pace pour la baisse des sa­laires réels dans les éco­no­mies riches, ce qui permet et élargit les com­por­te­ments tra­di­tion­nels de consom­ma­tion. Un exemple : dans l’industrie tex­tile amé­ri­caine les sa­laires ho­raires étaient de 15,10 dol­lars en 2002, au Mexique ils étaient de 2,30 dol­lars, en Inde de 0,40 et au Ban­gla­desh de 0,2514. Il est donc normal que nos T-shirts ne viennent pas des États-Unis.

Mais la stra­tégie glo­bale des bas prix se ré­vèle de plus en plus in­adaptée à l’assainissement des fi­nances pu­bliques. Elle at­teint pré­ci­sé­ment les couches à faible re­venu dans les « pays riches », ces groupes aux­quels Keynes prê­tait, il y a 75 ans, une forte in­cli­na­tion mar­gi­nale à la consom­ma­tion. Les aug­men­ta­tions ou di­mi­nu­tions de re­venus in­fluent plus di­rec­te­ment sur la consom­ma­tion des mé­nages à re­venus mo­destes car leur in­cli­na­tion et leur ca­pa­cité à l’épargne sont plus faibles du fait de leur re­venu. C’est le point de dé­part, du point de vue sys­té­mique, de la dis­cus­sion sur la fiscalité.

De « nou­veaux » vieux dangers

Le danger des crises fi­nan­cières, c’est qu’elles s’étendent à ce qu’on ap­pelle l’économie réelle – c’est-à-dire celle qui pro­duit réel­le­ment – et qu’elles dé­clenchent ainsi une ré­ac­tion en chaîne vers le bas. Que cela ar­rive ou non dé­pend en partie de la po­li­tique éco­no­mique mise en œuvre. Le danger n’est pas écarté de voir suc­céder à la pre­mière ré­ac­tion à la crise en 2009, qui était rai­son­nable et quasi key­né­sienne, une pé­riode de plu­sieurs an­nées d’orthodoxie des po­li­tiques éco­no­miques qui – comme en 1929 – ag­gra­ve­rait la crise de l’économie réelle pour de­voir en fin de compte être à nou­veau cor­rigée de ma­nière in­ter­ven­tion­niste. On pour­rait prendre comme exemple de cette ri­poste celui des États-Unis : sous la pres­sion de « l’opinion pu­blique », le gou­ver­ne­ment de Roo­se­velt est re­venu en 1937 à l’équilibre bud­gé­taire, après la pé­riode de New Deal. La consé­quence a été un nouvel ef­fon­dre­ment éco­no­mique qui n’a pu être sur­monté que grâce au ré­ar­me­ment du fait de la Deuxième Guerre mondiale.

Aujourd’hui aussi, on de­mande la ré­duc­tion à tout prix des dé­fi­cits. Nul be­soin d’imaginer ce qui ad­vien­drait si tous les pays de la zone euro op­taient pour les res­tric­tions bud­gé­taires. On peut le lire dans un ar­ticle de NZZ sur l’Irlande :

« Selon [l’agence de no­ta­tion] Moody’s, du fait du pro­gramme d’économies, le temps qu’il faudra à l’économie ir­lan­daise pour se re­mettre est in­cer­tain […]. Cette dé­cla­ra­tion dit im­pli­ci­te­ment que la forte cure d’austérité du pays pour­rait se tra­duire par une spi­rale des­cen­dante. Elle condui­rait à la sup­pres­sion de postes dans le sec­teur pu­blic, da­van­tage de chô­mage, une de­mande en baisse et des ren­trées fis­cales plus faibles, ce qui né­ces­si­te­rait en re­tour de nou­velles coupes bud­gé­taires. Le gou­ver­ne­ment ir­lan­dais es­père néan­moins que la po­li­tique d’austérité per­mettra au pays de re­trouver à moyen terme sa cré­di­bi­lité sur les mar­chés fi­nan­ciers, l’assainissement des fi­nances pu­bliques et le re­tour de la crois­sance. Dans ce scé­nario, la po­li­tique d’exportation joue­rait un rôle im­por­tant » 15.

La sol­va­bi­lité vient tou­jours d’ailleurs. Si chaque pays adopte cette po­li­tique, la somme sera nulle. Qu’il faille ré­duire le dé­ficit bud­gé­taire ir­lan­dais dû à la po­li­tique in­sou­ciante du passé, cela ne fait aucun doute. Il était de 12 % du PIB en 2010 ; si on y ajoute l’aide pu­blique aux banques, il at­teint 32 % 16.

Si on rem­place l’Irlande par l’Autriche, si on se re­porte aux an­nées 1930 et si on écrit po­li­tique dé­fla­tion­niste au lieu d’austérité, on ob­tient – y com­pris pour la ré­par­ti­tion du far­deau de la crise – un pa­ral­lèle aussi par­fait que pré­oc­cu­pant avec l’époque de la crise éco­no­mique mondiale17. En Es­pagne comme en Ir­lande, une ré­cente étude de l’OCDE sug­gère des aug­men­ta­tions d’impôts en Es­pagne (à sup­poser que le plan gou­ver­ne­mental de ré­duc­tion du dé­ficit bud­gé­taire de 11,1 % en 2009 à 6 % en 2010 soit mis en œuvre), entre autres, comme en Au­triche en 1931, par l’augmentation de la TVA. L’étude tonne contre la « pro­tec­tion ex­ces­sive des contrats à durée in­dé­ter­minée » et pro­pose la ré­duc­tion des pen­sions à tra­vers l’augmentation de la durée de co­ti­sa­tion de 15 ans ac­tuel­le­ment à la durée to­tale d’activité18.

Ce type de po­li­tique est sans fin. Ce que si­gni­fient les coupes ex­trêmes est illustré par l’exemple grec : selon le plan gou­ver­ne­mental, le dé­ficit bud­gé­taire de­vait être ré­duit en 2011 de 14 mil­liards d’euros par rap­port à 2010, et passer ainsi de 15,4 % du PIB en 2010 à 7,4 % en 2011. On n’en parle plus main­te­nant. Le dé­ficit bud­gé­taire res­tera à 9,5 %, et le PIB va en­core baisser de 5,5 %, et de 2 % à nou­veau en 2012. D’après les der­nières in­for­ma­tions, les sa­la­riés du pu­blic ga­gne­ront 40 % de moins à l’avenir, les pen­sions aussi se­ront à nou­veau diminuées19. Dès 2010, la consom­ma­tion privée a baissé de 40 % par rap­port à l’année pré­cé­dente ; comme consé­quence de la po­li­tique d’austérité, le chô­mage a doublé de volume20. En Es­pagne aussi, le chô­mage est à plus de 20 %, plus élevé que ja­mais. En An­da­lousie, il s’est ap­proché de 30 % en 2010 ; plus de 40 % des moins de vingt ans sont sans emploi21.

Même sans tenir compte des consé­quences sur l’économie réelle, la crise fi­nan­cière est loin d’être sur­montée, même aux États-Unis. Là-bas, l’éclatement de la pro­chaine bulle im­mo­bi­lière pour­rait mettre près de la moitié des banques en faillite22. Pour les banques eu­ro­péennes, le danger ne vient pas seule­ment – comme on es­saie de nous le faire croire – des dettes sou­ve­raines, mais de façon gé­né­rale des dettes pour­ries, de la fai­blesse des fonds propres – un pro­blème qui exis­tait aussi en 1929 – , des pertes ex­ter­na­li­sées qui n’apparaissent pas dans le bilan des banques elles-mêmes.

Si l’on ne sa­vait pas que le mal est plus pro­fond, on pour­rait dire : il faut ré­former les banques. La vraie di­men­sion des pro­blèmes ré­vélés avec le krach de 2008 a été dé­crite par l’économiste amé­ri­cain Ken­neth Ro­goff : « Eux [les po­li­tiques] ont ga­ranti à peu près tous les cré­dits de la terre et jeté un filet sur le sys­tème fi­nan­cier mon­dial ». Cela a certes « stoppé la pa­nique », mais en même temps en­gendré un « monstre », un sys­tème où c’est le contri­buable qui porte le risque. L’enjeu est aujourd’hui de « dompter » ce monstre23.

Mais il n’est pas ques­tion de dompter qui que ce soit. Il suffit de penser au plus ré­cent scan­dale de la banque suisse UBS. De façon gé­né­rale, on peut dire que les banques et « banques fan­tômes » – no­tam­ment les amé­ri­caines – prennent les mêmes hauts risques qu’avant 2008. Les dompter ap­pa­raît re­la­ti­ve­ment plus simple là où les banques ont conduit des pays en­tiers au bord de la ruine – ce qui les a for­te­ment af­fai­blies, comme en Is­lande ou en Ir­lande. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni en re­vanche, le ca­pital fi­nan­cier op­pose une forte ré­sis­tance aux ten­ta­tives d’introduire de nou­velles règles. Pour re­venir à un concept an­cien mais utile : une lutte pour l’« hégémonie » sur les ques­tions de po­li­tique éco­no­mique est engagée.

L’argument fal­la­cieux des néo­li­bé­raux est pour l’instant le souci des dé­fi­cits pu­blics et la sta­bi­lité mo­né­taire. Dans le lan­gage neutre de la NZZ : « Du point de vue de beau­coup d’acteurs des mar­chés, […] les me­sures jusqu’alors prises dans la zone euro ne consti­tuent pas une so­lu­tion du­rable ». Pour la pre­mière fois de­puis la fin des an­nées 1940, le journal pour­suit : « Dans les pays éco­no­mi­que­ment dé­ve­loppés, il sub­siste le risque que cer­tains pays ne soient plus en me­sure de faire face in­té­gra­le­ment à leurs obli­ga­tions ». C’est dans la pé­ri­phérie de la zone euro que le danger se­rait le plus grand, mais il « pour­rait bientôt ga­gner d’autres pays, y com­pris le Japon et les États-Unis » 24.

Cela fonc­tionne, comme sou­vent dans des sys­tèmes de pensée fermés, comme une pro­phétie auto-réalisatrice. Mais ce n’est que la moitié de la vé­rité des spé­cu­la­teurs : de­puis la pé­riode où les banques se sont brûlé les doigts à l’automne 2008, d’immenses quan­tités de ca­pital à la re­cherche de pro­fits errent sur tous les mar­chés où il est pos­sible de faire ra­pi­de­ment de l’argent grâce à la spé­cu­la­tion : ceux des mé­taux, des cé­réales ou même des obli­ga­tions d’État, que l’on a pour­ries et que main­te­nant la BCE garantit.

Et qu’arrivera-t-il quand tous les bud­gets se­ront en équi­libre ? La grande re­prise ou – comme après 1929 – la dé­grin­go­lade dans la spi­rale de la dé­pres­sion ? Que peut-on dire trois ans après le krach ? En 1930 aussi, on tra­çait des pers­pec­tives roses pour l’avenir de l’économie mon­diale, avant que la crise fi­nan­cière ne frappe de plein fouet le monde en­tier en 1931 et n’aggrave la crise éco­no­mique. Ce n’est pas un ha­sard si la crise fi­nan­cière a dé­marré avec les banques – comme la Öster­rei­chische. Credit-Anstalt für Handel und Ge­werbe qui, dans l’illusion d’une conjonc­ture fa­vo­rable (qui n’est ja­mais venue) a pra­tiqué pen­dant des an­nées une po­li­tique de crédit plus qu’optimiste et for­te­ment expansionniste25.

Ce n’est pas un ha­sard non plus si les vic­times prin­ci­pales de la crise fi­nan­cière ou­verte en 2008 ont été les banques et les gou­ver­ne­ments qui ont cru le plus à une ex­pan­sion sans fin. Dans la sphère fi­nan­cière, pousser jusqu’au bout cette stra­tégie au cours d’une pé­riode « nor­male », c’est croire aveu­glé­ment à une crois­sance de rêve. À la pre­mière épreuve un peu forte, les pro­blèmes apparaissent.

Ce qui conduit à la ques­tion : que re­tiennent de l’histoire les banques et les po­li­tiques ? Avant 2008 – comme avant 1929  – les si­gnaux mon­trant la consti­tu­tion d’une bulle exis­taient. John Ken­neth Gal­braith a écrit dans son cé­lèbre livre sur la grande crise de 1929 qu’une « sorte de rage » de de­venir « ra­pi­de­ment très riches, avec un mi­nimum d’effort » avait « gagné les Amé­ri­cains »26. Comme aujourd’hui. Gal­braith dé­crit aussi le rôle né­faste des In­vest­ment Trusts, c’est-à-dire des Fonds gé­rant les ac­tions. Ce n’est pas un ha­sard non plus si les ex­pres­sions « le­vier », « effet le­vier » sont ap­pa­rues pour la pre­mière fois dans ce contexte : avec un in­ves­tis­se­ment fi­nan­cier le plus faible pos­sible, ga­gner le plus possible27. Comme aujourd’hui.

Avant 1929, la spé­cu­la­tion s’est concen­trée sur la Bourse de New York. Elle a pro­voqué là le fa­meux « jeudi noir », le 24 oc­tobre 1929. Au bout du compte, les ac­tions amé­ri­caines ont perdu 85 % de leur va­leur entre 1929 et 1932. En 1933, le PIB des États-Unis avait di­minué du tiers par rap­port à 1929. Près de 13 mil­lions de per­sonnes se sont re­trou­vées sans em­ploi cette année-là, ce qui re­pré­sen­tait un taux de chô­mage de 25 % 28. C’est seule­ment cette année-là qu’il y a eu une in­ver­sion de la po­li­tique économique.

Cette fois-ci – en 2008 et après – le mal a été moindre car la ré­ac­tion de­vant la me­nace de fu­sion du cœur du ré­ac­teur fi­nan­cier a été ra­pide et dé­ci­sive – grâce aux me­sures non or­tho­doxes des banques cen­trales et des po­li­tiques qui après des an­nées de prêche pour l’eau néo­li­bé­rale ont versé un peu de vin key­né­sien dans les ca­naux pleins de trous de la finance.

Mais le danger d’une chute dans la dé­pres­sion est tou­jours là, même si les grands États oc­ci­den­taux ont été, dans un pre­mier temps, sauvés par les mar­chés émer­gents d’Asie et d’Amérique la­tine. On es­time en gé­néral que ces pays contri­bue­ront au cours des cinq an­nées à venir pour plus de 50 % à la crois­sance glo­bale. Dit au­tre­ment : la re­dis­tri­bu­tion glo­bale au dé­tri­ment des « vieilles » éco­no­mies va se poursuivre.

Dan­gers politiques

Il n’est pas éton­nant qu’une par­ties des po­pu­la­tions amé­ri­caine et eu­ro­péenne ait peur de l’avenir et soit sen­sible aux partis po­pu­listes ou ex­trêmes de droite29. Mais ce n’est pas le seul danger. On peut en­tendre des dis­cours dan­ge­reux de la part des partis dé­mo­cra­tiques, aux­quels il faut être at­ten­tifs : dans les an­nées 1930, la dé­mo­cratie n’a pas seule­ment été mise à mal par Dollfuß et consorts, mais aussi par les ex­perts fi­nan­ciers de la So­ciété des na­tions [SDN], pour qui la len­teur des pro­cessus de dé­ci­sions par­le­men­taires était un obs­tacle à l’assainissement ra­pide des fi­nances de l’État30.

Ces voix se font en­tendre aussi aujourd’hui : la dé­mo­cratie, met­tait en garde il y a moins d’un an le po­li­to­logue Ru­dolf Bur­­ger, « est avant tout une ques­tion de forme. Elle sup­pose au pre­mier chef de res­pecter les lois […]. Le 9 mai 2010, le plan de sau­ve­tage de l’euro a été adopté au cours d’une réunion ex­tra­or­di­naire du Conseil eu­ro­péen. Au cours de la nuit. Ainsi, d’un seul coup, 27 par­le­ments ont été des­saisis ! Sans cris ! Je ne veux pas juger du contenu du plan de sau­ve­tage. Mais cela m’a rap­pelé, tout à coup, le 24 mars 1933, le jour de la loi don­nant les pleins pou­voirs aux nazis, de la mise hors cir­cuit du par­le­ment al­le­mand. Alors aussi, on di­sait : « pour éviter les dom­mages pour le peuple et le Reich » […] Je m’attends à une crise d’érosion pour toute l’Europe. Pas une ré­vo­lu­tion mais une éro­sion gran­dis­sante de la lé­gi­ti­mité du pou­voir et des struc­tures po­li­tiques. » 31

La lo­gique au­to­ri­taire des « plans de sau­ve­tage » ap­pa­raît plus évi­dente en­core dans le cas de l’Irlande, dans le contrat (« Me­mo­randum of Un­ders­tan­ding ») signé entre le gou­ver­ne­ment ir­lan­dais, le FMI, la BCE et la Com­mis­sion eu­ro­péenne. Mé­di­tons le com­men­taire de la Neue Zür­cher Zei­tung : « L’accord confirme la cor­rec­tion en­vi­sagée de la si­tua­tion bud­gé­taire jusqu’à la fin 2013 à hau­teur de 15 mil­liards d’euros ou 9 % du PIB du pays… 6 mil­liards concer­ne­ront la pro­tec­tion so­ciale. […] Le gou­ver­ne­ment ir­lan­dais doit rendre compte heb­do­ma­dai­re­ment de la si­tua­tion bud­gé­taire aux créan­ciers in­ter­na­tio­naux. […] Tous les trois mois, l’État doit in­former de la si­tua­tion de l’emploi pu­blic et des sa­laires versés. Comme un mau­vais au­gure, le rap­port in­dique que des li­cen­cie­ments com­plé­men­taires au­ront lieu, aussi long­temps que les gains de pro­duc­ti­vité at­tendus du ser­vice pu­blic ne se­ront pas at­teints » 32.

L’appréciation du Irish Times est la sui­vante : « Nous avons été hu­mi­liés à un degré sans pré­cé­dent » 33. On peut lire des choses sem­blables dans les jour­naux grecs de­puis des mois. Mais cela ne fait que pa­ra­phraser ce que les jour­naux au­tri­chiens écri­vaient dans les an­nées 1930 à propos des de­mandes de la So­ciété des na­tions, qui étaient à peu près les mêmes que celles adres­sées aujourd’hui à l’Irlande, au Por­tugal, à l’Espagne et à la Grèce.

En juin de cette année, les Salz­burger Na­chrichten, à propos du Por­tugal, en ont fait un concept : « Quel que soit le gou­ver­ne­ment, il doit faire ce que l’UE et les fonds mo­né­taires exigent » 34.

Le journal y ajoute ce qu’il ap­pelle la « co­dé­ter­mi­na­tion » 35. Le pré­sident de la Com­mis­sion, José Ma­nuel Bar­roso, au cours d’une ren­contre avec des syn­di­ca­listes en juin 2010, au­rait mis en garde contre les consé­quences po­li­tiques des pro­tes­ta­tions so­ciales en Eu­rope du Sud, en n’excluant pas la fin de la dé­mo­cratie par­le­men­taire dans ces pays. Il au­rait dit « que ces pays, avec leurs struc­tures dé­mo­cra­tiques, comme on les connaît aujourd’hui, pour­raient dis­pa­raître ». Le Pre­mier mi­nistre grec, Giorgos Pa­pan­dreou, semble avoir eu cela à l’esprit quand, évo­quant les dé­buts de la dic­ta­ture mi­li­taire de 1967 à 1974, il a es­timé que les pro­tes­ta­tions contre la po­li­tique d’économies de son gou­ver­ne­ment pour­raient dé­truire la démocratie36.

Dans tous les cas, se sou­mettre aux dik­tats des mar­chés fi­nan­ciers, du FMI et des ex­perts fi­nan­ciers de l’UE, constitue une mise sous tu­telle de facto. Cela ne sera peut-être pas aussi grave que lorsque, dans l’Autriche des an­nées 1930, la dé­mo­cratie fut li­quidée avec l’aval du conseiller de la So­ciété des na­tions, parce qu’elle fai­sait obs­tacle au « tra­vail de re­cons­truc­tion » 37, à l’assainissement des fi­nances de l’État.

Après 1929 aussi, il fut ques­tion de dé­man­tè­le­ment so­cial, d’économies sur les fonc­tion­naires, de res­tric­tion du « pou­voir » des syn­di­cats et d’un « ré­gime » avec des « pleins pou­voirs élargis » sur le mo­dèle du gou­ver­ne­ment Brü­ning en Allemagne.

Aujourd’hui, tout cela se fait à pas feutré. Les édi­tions de la FAZ viennent de pu­blier un livre sous le titre Oser moins de dé­mo­cratie. L’auteur se plaint de « l’influence pa­ra­ly­sante de la « voix du peuple » […] et de l’esprit du temps éman­ci­pa­teur et dou­tant de tout ». Il se pro­nonce pour le dé­man­tè­le­ment de la par­ti­ci­pa­tion démocratique38. L’an der­nier déjà, on pou­vait voir, ex­primé dans un ar­ticle sem­blable de la presse al­le­mande qui met­tait en garde contre la lour­deur des pro­cessus de prise de dé­ci­sion dé­mo­cra­tique, le « sou­hait d’un « tout petit peu de dic­ta­ture » », d’un « dic­ta­teur pro­vi­soire » dans l’esprit du ju­riste nazi Carl Schmitt39.

La fac­ture de l’assainissement n’est pas en­core ar­rivée. Aujourd’hui Il ne s’agit pas seule­ment de la ré­par­ti­tion du coût de la so­cia­li­sa­tion des pertes, mais – au sens d’un pro­gramme mi­nimum – de pro­mou­voir une pré­ven­tion des crises à venir : des règles plus sé­vères pour le sys­tème fi­nan­cier, le ren­for­ce­ment du contrôle des banques et des mar­chés fi­nan­ciers, des taxes sur les tran­sac­tions (avec son mo­dèle d’origine, la taxe Tobin), etc. Même le FMI a pro­posé, et ceci de­puis une bonne dou­zaine d’années, une « pru­dente ré­gu­la­tion pour res­treindre les flux de ca­pi­taux de court terme » 40.

Pen­dant ce temps, les ac­ti­vités sur les mar­chés mo­né­taires et des ca­pi­taux conti­nuent à aller bon train. Le pré­sident de la Deutsche Bank lui-même, Josef Acker­mann, a jugé le climat sur les mar­chés fi­nan­ciers com­pa­rable à celui qui exis­tait avant le krach de la Lehman Bro­thers. Les banques se mé­fient l’une de l’autre ; seule la BCE rend le marché mo­né­taire fluide. Les mar­chés sont, comme on le dit dans le jargon néo­li­béral, « ex­trê­me­ment ner­veux ». Chaque pe­tite ru­meur fait valser les cours bour­siers. Cette fois-ci, la partie se joue entre ban­que­routes des États, hair­cuts et Credit De­fault Swaps, à coup de paris sur les ga­ran­ties ou les non-garanties sur les obli­ga­tions d’État. Les Credit De­fault Swaps ont déjà joué un rôle dans la crise des sub­primes et ac­centué la pa­nique. Ce n’est pas une fin de partie mais on sait déjà qui paiera la note, compte tenu du rap­port de forces ac­tuel. Sauf si ceux qui sont priés de passer à la caisse re­fusent ce jeu-là.

Notes

1) Charles P. Kindlberger, Ma­nies, pa­niques et faillites. Une his­toire des crises fi­nan­cières, 3e édi­tion, New York-Chi­che­ster-Brisbane-Toronto-Singapour 1996, Ap­pendix B, p. 203ff. Voir aussi Carmen M. Reinhardt/Kenneth S. Rogoff, Cette époque est dif­fé­rente. Huit siècles de folie fi­nan­cière, Prin­ceton Uni­ver­sity Press, 2009.

2) Franklin Allen/Douglas Gale, Com­prendre les crises fi­nan­cières, Ox­ford 2007.

3) Mi­chael Bloss et al., De la crise des sub­primes à la crise fi­nan­cière, Mu­nich, 2007, p. 23ff.

4) Neue Zür­cher Zei­tung (NZZ), 17.4.1998.

5) Ebenda, S. 102.

6) Voir dia­grammes de Barry Ei­che­green : From Great De­pres­sion to Great Credit Crisis : Si­mi­la­ri­ties, Dif­fe­rences and Lessons.

7) Fi­nan­cial Times, 11 – 12 dé­cembre 2010. Voir aussi Gordon Brown, Au-delà du Crash. Sur­monter la pre­mière crise de la mon­dia­li­sa­tion, Simon & Schuster, 2010.

8) On trai­tera dans un autre ar­ticle le fait que la Chine a suf­fi­sam­ment de pro­blèmes propres, comme l’endettement massif des au­to­rités pro­vin­ciales (et la bulle im­mo­bi­lière po­ten­tielle que cela comporte) – voir Die Presse, 7 jan­vier 2011.

9) ISW Re­port Nr. 75, p. 22ff.

10) Voir à ce propos l’article très do­cu­menté : « Pru­dence de­vant l’expansion al­lé­chante du sec­teur ban­caire », NZZ, 23 sep­tembre 2011.

11) World So­cia­list Web Site, WSWS. org

12) An­drea Köhler, « La na­tion sans bon­heur », NZZ, 4.12.2010 ; « Les beaux et les damnés », The Eco­no­mist, 22.1.2011.

13) « Les beaux et les damnés », The Eco­no­mist, 22.1.2011.

14) Don­nées sur l’industrie tex­tile, cité dans Salz­burger Na­chrichten, 8.1.2005.

15) NZZ, 20.12.2010

16) Die Presse, 7. 1.2011.

17) Voir Fritz Weber, « Le cas de l’Autriche. Pour­quoi la po­li­tique éco­no­mique au­tri­chienne a re­noncé après 1931 à des me­sures dé­ci­sives pour com­battre la crise éco­no­mique et pour­quoi cette po­li­tique res­tric­tive a conduit à la dic­ta­ture », in : Man­fred Mu­grauer (Hg.), Crises éco­no­miques et fi­nan­cières dans le ca­pi­ta­lisme. As­pects his­to­riques et ac­tuels. Vienne, 2010, p. 34 – 44.

18) NZZ, 21.12.2010.

19) NZZ, 23.9.2011.

20) SN, 21.12.2010 ; NZZ, 24.12.2010.

21) SN, 29.1.2011.

22) Die Presse, 23.9.2011.

23) Süd­deutsche Zei­tung, 1.12.2009.

24) NZZ, 6.12.2010.

25) Voir Fritz Weber, Avant le grand krach. La crise du sys­tème ban­caire au­tri­chien dans les an­nées 1920. Ha­bil­schrift, Salz­burg 1991. À pa­raître en 2012 chez Böhlau-Verlag.

26) John Ken­neth Gal­braith, Le grand krach de 1920. L’histoire d’une illu­sion qui a conduit dans le pré­ci­pice, Stutt­gart, 1963, p. 25.

27) Ebenda, p. 85ff.

28) Gal­braith, p. 233.

29) Cela est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour l’Europe de l’Est. Même le chef de la Raif­feisen Bank In­ter­na­tional, Her­bert Stepic, évoque à ce sujet le « danger de la montée des na­tio­na­lismes » et du « glis­se­ment à droite, qui les fait parler à nou­veau de race su­pé­rieure ». (SN, 28.12.2010).

30) Voir le rap­port déjà cité de Fritz Weber (Anm. 36), p. 33ff.

31) La pi­toyable es­thé­tique de l’État, in SN, 28 dé­cembre 2010.

32) NZZ, 4.12.2010.

33) Zit.n. NZZ, 4.12.2010.

34) SN, 6.6.2011.

35) mit­bes­tim­mung Nr. 4/2011.

36) NZZ, 3.7.2011.

37) Journal de Rost van Ton­ningen du 30 juillet 1934, cité par Grete Klin­gen­stein, L’emprunt de Lau­sanne. Une contri­bu­tion à l’histoire de la Pre­mière Ré­pu­blique, 1931 – 1934, Vienne, 1965, p. 98.

38) Laszlo Tran­ko­vits, Oser moins de dé­mo­cratie ! Com­ment ré­ar­ti­culer le dia­logue entre le po­li­tique et l’économie, Frankurt/Main, 2011.

39) « Un petit peu de dic­ta­ture ? », in : In­ter­na­tio­nale Po­litik, mai/juin 2010.

40) NZZ, 17.4.1998.

 

Source cahiersdusocialisme.org

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commentaires

D
<br /> Alors prosit !!!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Pour prositiver, je vais prositiver, whaou la jomlie pouliche, c'est promis je ne prostaterai plus! <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Bonjour Cyril,<br /> <br /> <br />  mais non tu ne seras pas au chômage, Mickey fait la manche pour votre 13ème mois!!  <br /> <br /> <br /> Je ne reçois plus les avis de réponse aux commentaires ça rend la communication difficile<br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br />  <br />
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C
<br /> <br /> Que veux-tu, c'est la nouvelle année et la dernière selon le calendrier Maya... tout se fout le camp! <br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Bonjour Cyril,<br /> <br /> <br />    Oui c'est la misère..................<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Mince alors, c'est-y donc qu'on va se retrouver au chômage? <br /> <br /> <br /> <br />

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